Après la sédentarité forcée et les écarts alimentaires, le bilan est là : quelques kilos en plus (ou en moins pour celles qui ont été contaminées) et une forme en berne pour la plupart d’entre nous auquel s’ajoute stress et manque de sommeil.
Ce qui était prévisible est arrivé : les Français ont pris en moyenne 2,5 kilos durant ces 2 mois de confinement révèle l’Etude IFOP* pour Darwin Nutrition sur « L’impact du confinement sur le poids et les habitudes alimentaires des Français ».
On a demandé au Dr Laurence Plumey, médecin-nutritionniste, spécialiste de l’obésité chez l’enfant et chez l’adulte, de nous commenter ce que révèle cette étude. Elle nous livre également ses recommandations pour perdre vite et bien ses petits kilos du confinement. Fondatrice de l’Ecole EPM Nutrition et praticien hospitalier, elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont « Le Monde Merveilleux du Gras. Tout sur ces rondeurs qui nous habitent » publié en mars 2020 aux Editions Eyrolles.
Quelles sont les résultats de cette enquête ?
Dr Laurence Plumey : si 29% des Français ont perdu du poids, en revanche 57% en ont pris, soit en moyenne 2 à 3 kilos en moins de 2 mois. (32% de ceux qui ont pris du poids n’ont pris qu’1 kilo, 34% ont pris 2 kilos, 34% ont pris plus de 3 kilos).
Chez les femmes, ce sont surtout les femmes en surpoids, voire souffrant d’obésité, qui ont pris du poids. Alors que chez les hommes, ce sont surtout les « minces » qui ont grossi.
Les causes sont claires : beaucoup d’apéritifs, du grignotage, des repas plus copieux et systématiques, ainsi que la sédentarité forcée. A ce sujet, ceux qui faisaient peu de sport auparavant ont pris plus de poids que ceux qui en faisaient beaucoup (à croire qu’ils ont réussi à maintenir la cadence, à la maison et à l’extérieur). Les femmes sont beaucoup plus insatisfaites de cet état de fait que les hommes, au point d’être vraiment très motivées pour manger plus sain et équilibré au moment du déconfinement, sans pour autant faire de régime.
Pourquoi ces 2 à 3 kilos de pris ?
Dr. Plumey : Parce que c’est mathématique ! Quand vous faites un extra alimentaire (quelques biscuits ou une part de gâteau l’après-midi ou un apéritif bien chargé), vous consommez à minima un surplus de 300 calories. Sachant qu’1 gramme de graisse dans notre corps stocke 9 calories, notre extra gourmand de 300 calories se retrouve donc transformé en 30 à 35g de graisse dans un coin du bourrelet ou des profondeurs du ventre, à défaut d’avoir été brûlé en énergie musculaire.
Sur 1 mois, cela fait donc 30 fois plus, soit près d’1 kilo – et le compte est bon sur 2 mois.
Pourquoi les femmes en surpoids ou souffrant d’obésité ont-elles particulièrement souffert du confinement et pris des kilos ?
Parce que très souvent, une personne en surpoids entretient des relations complexes avec son alimentation ; elle présente ce que l’on appelle une alimentation émotionnelle, et reporte sur son comportement alimentaire les émotions qu’elle ressent, qu’elles soient positives ou négatives. Il est donc probable que celles qui ont pris du poids ont assez mal vécu le confinement et ressenti du stress qu’elles ont essayé de calmer en mangeant davantage et plus souvent, surtout des produits sucrés (le sucre apaise la sensation de stress).
Comment expliquez-vous que certaines personnes aient pris du poids et pas d’autres ?
Le confinement aurait dû en théorie tous nous faire grossir car le peu de calories laborieusement dépensées ne peut pas suffire à compenser l’excès facile d’apport calorique (une part de gâteau au chocolat équivaut à une heure de sport). Mais nous sommes équipés de systèmes de régulation. Quand ils marchent bien, dès que nous prenons un peu de poids, notre tissu adipeux envoie au cerveau un messager (la leptine) intimant l’ordre de calmer l’appétit. En somme, notre Gras s’auto-régule. Mais cela ne marche pas chez tout le monde, soit que la gourmandise ou les compulsions l’emportent, soit que le messager ne soit pas entendu par les cellules du cerveau. C’est une des dysrégulations en cause. Par ailleurs, nous sommes inégaux face à la capacité à aimer faire du sport. Bonne nouvelle pour les paresseux. Il se pourrait qu’il y ait des gènes de l’effort !
Où ces kilos se sont-ils déposés ?
Tout d’abord au niveau du bourrelet. C’est la porte d’entrée du Gras dans notre corps. Premier arrivé, dernier parti ! On commence par le petit bourrelet qui deviendra -au fil du temps- gros et grand pour ensuite dégénérer en Gras plus profond et plus pervers car source des complications de santé liées au surpoids (diabète, hypertension artérielle, risque cardio-vasculaire). C’est ce qui risque de concerner ceux et celles qui continueront de mal manger et de trop peu bouger. En somme, ces 2 kilos de bourrelet ne sont pas bien méchants au début, mais ils pourraient le devenir si l’on persiste dans nos erreurs de comportement, ou si on les agresse à coup de régimes sévères.
Dr Laurence Plumey, quels sont vos conseils pour reperdre vite et bien ses petits kilos du confinement ?
Ils ont mis 2 mois à arriver, ils en mettront 1 pour repartir ! En fait le corps déteste la brutalité. Il ne faut surtout pas de régime sévère, quel qu’il soit (c’est-à-dire pas de régime à moins de 1200 calories par jour) ni de séances de sport effrénées et intenses. Ce serait la porte ouverte au yoyo pondéral et au risque de problèmes cardiaques (le cœur est un muscle et il n’a pas été entraîné pendant 2 mois). Il faut simplement remettre la machine en route, et cela suffira.
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Quelles sont les règles essentielles à respecter ?
-Ne pas sauter de petit-déjeuner, en se disant que l’on va économiser des calories. C’est en effet l’inverse qui se produit, car cela entraîne un surplus de consommation calorique dans l’après-midi et le soir. Cette typologie de comportement est très fréquemment retrouvée chez les personnes qui ont pris du poids. Elles mangent peu le matin et au déjeuner, et beaucoup l’après-midi et le soir.
-Bien manger au déjeuner, en accordant beaucoup d’importance aux légumes. En étant bien rassasiée à midi, on limite les risques de grignotage et de faim intense de l’après-midi. Un bon déjeuner apporte en moyenne 800 calories dont 500 à 600 calories de plat principal (viande ou poisson, légumes et féculents), un peu de pain et 100 à 200 calories de dessert (laitage et fruit).
-Manger léger le soir. C’est le secret de la perte de poids. Notre corps ne brûle que 500 à 600 calories durant la nuit (moins de 100 calories de l’heure) ; tout excédent sera stocké en graisse. En somme, on grossit la nuit. Or, il faut savoir que tout à la joie de se retrouver ensemble, le repas familial arrosé de 2 verres de vin (250 à 300 calories), d’un plat en sauce (600 à 700 calories), de pain et de fromage (200 calories) et d’un dessert sucré (150 calories) arrive donc à la coquette somme de 1200 calories environ, soit le double de ce qui suffirait.
Pour perdre du poids, il faudrait retirer toute boisson alcoolisée (surtout le soir) privilégier les légumes, et préférer le laitage nature au fromage, tout en conservant un fruit de saison pour la note sucrée finale.
Si on a envie de suivre un régime, par exemple la cure cétogène, le jeûne épisodique ou autre, qu’est-ce qu’on risque ?
Tous les régimes font maigrir sur le court terme, qu’ils soient pauvres en graisses ou pauvres en glucides. Il n’y a pas de différences entre eux sur le nombre de kilos perdus car ce qui compte avant tout pour maigrir c’est le déficit calorique.
En revanche, la différence se fait sur la reprise du poids, très rapide pour 80% d’entre eux, et l’état de santé global. En effet, plus vous maigrissez vite, plus vous perdez surtout du muscle au début (parfois jusqu’à 25% de la perte de poids) ; de plus vous activez vos gènes « économes » et poussez votre corps à brûler moins de calories, ce qui accélérera la reprise de poids et même un risque d’évolution vers l’obésité.
Par ailleurs, il a été démontré qu’une alimentation chroniquement trop pauvre en graisse (moins de 10g de beurre et d’une cuillère à soupe d’huile par jour et absence totale d’œufs et de poisson gras), augmentait le risque de maladie cardio-vasculaire en abaissant certes un peu le taux de LDL cholestérol (le mauvais) mais en abaissant aussi celui du HDL cholestérol (le bon). Le meilleur « régime » est donc celui qui s’approche le plus d’une alimentation variée et équilibrée, contrôlée en gras et en sucre (mais sans les supprimer) et qui soit plaisante au point d’en faire une règle de vie. Donc, pas de régime restrictif, mais manger un peu de tout et en quantités suffisantes.
Quand on est en télétravail, est-ce qu’on ne risque pas de prendre du poids ?
Oui, bien sûr, c’est un risque surtout si on ne s’impose pas une certaine discipline. Il faut en effet garder les bons rythmes et se lever le matin à l’heure de début de travail « classique » ; la seule différence : pas de stress du départ précipité, le ventre quasiment vide. Donc, on prend son temps pour prendre un bon petit déjeuner. Ensuite on travaille en étant correctement installée (table, bureau) ; le canapé est une mauvaise idée (gare aux lombalgies). On fait des pauses thé ou café (éviter le sucre). On s’arrête pour faire un vrai déjeuner : cela permet aussi de bien se déconnecter. On se prépare un vrai repas et pas un sandwich à manger devant son écran. On applique le même principe l’après-midi, avec la petite pause de 16 ou 17h. On évite le grignotage de biscuits et gâteaux ; on se tourne plutôt vers un fruit ou deux. On fait une pause toutes les heures pour s’étirer et se défouler un peu. Puis on s’arrête de travailler à une heure raisonnable -pour laisser place à son espace personnel et familial. Penser à prévoir une heure dans la journée soit pour sortir et marcher ou courir, soit pour se dépenser sur son vélo, son tapis de course ou son elliptique. Bien se souvenir que l’ennemi sournois du télétravail c’est la sédentarité et le grignotage.
Quel rôle peut jouer l’alimentation sur la fatigue liée au virus Covid-19 ?
N’oublions pas que beaucoup de nos concitoyens ont été contaminés par le virus sans en avoir de grosses complications, si ce n’est une grosse fatigue séquellaire. N’oublions pas non plus ceux et celles qui se remettent d’une épreuve médicale plus lourde et qui peu à peu retrouvent leurs forces. Ils ont d’ailleurs souvent maigri.Manger utile et gourmand. Utile, parce que les aliments auront un double rôle : renforcer les défenses immunitaires et aider à guérir d’un gros processus inflammatoire.
Pour cela :
-de la vitamine C via les agrumes. Boire un verre de jus d’orange ou de pamplemousse par jour et manger 2 clémentines et 1 kiwi : total de 200 à 250mg de vitamine C (soit deux fois le besoin quotidien).
-des antioxydants (légumes à chaque repas et donc au moins 3 fois par jour, en plus des fruits précités)
-des Omega 3 (huile de colza ou de noix, une cuillère à soupe par jour) et 2 à 3 fois par semaine, un poisson gras (sardines, maquereau, saumon, hareng… frais, en conserve ou surgelé)
-et beaucoup de repos, bien évidemment.
Quelle activité physique conseillez-vous ?
Un effort intense et court ne puise pas ses calories dans le Gras mais dans le glycogène des muscles. Cela risque d’être déceptif. Beaucoup d’efforts, pour peu de résultat sur la balance. En revanche l’effort prolongé et modéré puise son énergie dans le Gras, surtout à partir de la 40ème minute.
Il est donc efficace de marcher ou de pédaler longtemps et sans trop d’efforts : une heure de marche active par jour, une heure de vélo ou de vélo elliptique (très bon effort qui mobilise quasiment tous les muscles du corps). Il doit être possible de parler, en pleine action.
Mais bouger plus, c’est manger plus, non ?
Effectivement, cela peut donner envie de manger plus et il serait dommage d’annuler tous ces efforts par une gourmandise non contrôlée. Tout dépend des objectifs que l’on se fixe. S’il s’agit d’un objectif santé, pas de problèmes. On mange varié et équilibré et on se fait plaisir de temps à autre avec des petits extras. Tant que le poids reste stable, c’est que la cadence est bonne, tant sportive qu’alimentaire. En revanche, si on veut perdre du poids, le fait de faire du sport sans contrôler ses calories par ailleurs, ne suffira pas. Il faut bouger plus et manger mieux voire moins (identifier les excès de gras et de sucre et les diviser par deux). Au demeurant, on peut tout à fait contrôler sa faim autrement qu’avec des produits gras et sucrés. Il faut augmenter les portions d’aliments riches en protéines (viandes, poissons, œufs, laitages écrémés ou demi-écrémés) et partager l’assiette entre légumes et féculents.
Pourquoi la qualité de notre sommeil est-elle importante ? Quel rapport avec nos kilos ?
Ne pas dormir assez fait grossir ! il sera donc difficile de maigrir si le sommeil est insuffisant et non réparateur.
S’il n’est pas bon, il ne faut pas hésiter à consulter un pneumologue (si doute sur apnées), un ORL (si ronflements) ou un médecin spécialisé dans les troubles du sommeil (insomnies, réveils fréquents…). Idéalement il faut essayer de se coucher avant minuit et d’avoir au moins 7 heures de sommeil par nuit. Ceci afin d’éviter la fatigue et l’envie de manger plus calorique, plus sucré et plus riche en féculents (envies liées à la sécrétion augmentée de cortisol provoquée par le manque de sommeil). De plus, le fait de se coucher très tard donne envie de manger vers minuit car l’estomac s’est vidé de son contenu du dîner. Ces personnes sautent également souvent le petit déjeuner au prétexte de ne pas avoir faim. Les rythmes des repas de la journée sont donc bouleversés. Prise de kilos assurée et perte de poids impossible.
Il faut donc se donner les moyens d’avoir un sommeil de qualité :
-se coucher avant minuit car le sommeil le plus récupérateur a lieu avant 2 heures du matin.
-ne pas exposer ses yeux à la lumière bleue des écrans d’ordinateur et des téléphones.
-lire un bon livre : rien de tel pour s’endormir.
En conclusion, Dr Laurence Plumey ?
Qu’il s’agisse de l’alimentation, de l’activité physique et du sport, du sommeil… tout ceci doit se faire avec plaisir et légitimité, car ce qui est efficace en termes de poids, c’est la constance et la connaissance des raisons de ses actes. Or il n’y a pas de constance, ni de durée, sans plaisir. Et il n’y a pas de motivation et d’efficacité, sans connaissances des ressorts intimes de son corps. A chacun donc de trouver durablement son équilibre personnel, dans ces circonstances certes encore un peu anxiogènes, mais qui sont éphémères.
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Un exemple de journée réussie :
Le matin : 2 tranches de pain légèrement beurrées (ou un bol d’une poignée de muesli peu sucré ou des flocons d’avoine), laitage nature (yaourt ou fromage blanc), un fruit de saison (ou un verre de jus d’orange maison ou en bouteille pour la vitamine C), thé ou café sans sucre.
Au déjeuner : viande ou poisson accompagnés de mi-légumes mi-féculents, très peu de pain, une part de fromage ou un laitage nature et un fruit de saison.
L’après-midi : un fruit de saison et une belle poignée d’amandes.
Au dîner : un plat avec un peu de poisson, viande blanche ou 2 œufs, accompagnés surtout de légumes (crus ou cuits), une tranche de pain, un laitage nature et un fruit.
Les 2 carrés de chocolat noirs sont autorisés !
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A lire :
Le Monde Merveilleux du Gras. Tout sur ces rondeurs qui nous habitent, Editions Eyrolles mars 2020.
Un livre drôle mais appuyé sur les dernières données scientifiques et médicales. Il se lit comme un roman où on découvre les secrets de notre adiposité en présence d’un irrésistible personnage nommé Robert, une cellule graisseuse, au tempérament bien trempé et plein de bon sens. Après lecture, on ne voit plus le GRAS comme avant !
*Étude réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 24 au 27 avril 2020 auprès d’un échantillon de 3045 personnes, représentatif de la population âgée de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine.
Marie-Françoise Souchet