« Un certain M. Piekielny« , de François-Henri Désérable
Toujours difficile de parler d’un roman lorsqu’il propose autant de récits enchâssés. Piekielny est un personnage de La promesse de l’aube de Romain Gary, une petite souris à la barbe roussie par le tabac qui fait au jeune Roman Kacew, futur Romain Gary, entre deux rahat-loukoums, cette pathétique requête : « Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny » Car nul doute, Piekielny adhère totalement aux prédictions de la mère de Gary : cet enfant deviendra un grand homme, Ambassadeur de France, Chevalier de la légion d’honneur, grand auteur dramatique…
Le narrateur se retrouve dès les premières pages, par le plus grand des hasards, perdu en Lituanie, à Vilnius. C’est alors que ses pas l’amènent devant le n° 16 de la rue Grande-Pohulanka où une plaque commémore la présence avant guerre de Romain Gary et sa mère Mina Kacew. D’un coup rejaillit dans son esprit cette phrase pré-citée que Piekielny adresse au jeune Roman (il a alors huit, neuf ans) au chapitre VII de La Promesse de l’aube.
La mémoire est surprenante qui fait jaillir des images, des mots, ouvre le tiroir de la nécessité impérieuse du savoir.
Piekielny a-t-il réellement existé ? A coups de « si et si », François-Henri Désérable entame une enquête qui le conduira des archives de Wilno jusqu’aux archives des camps de concentration. L’histoire de Piekielny devient SON affaire et c’est très sérieusement qu’il se lance sur les traces, Google aidant, de la « petite souris ». Mais voilà, nulle trace de ce Piekielny dans les archives. La question surgit alors naturellement : Piekielny a-t-il existé ou n’est-il qu’un mensonge littéraire, un de ceux que Gary affectionnait ? Désérable ne baisse pas les bras….
Si Piekielny n’a pas existé, il faut l’imaginer : de cette fiction que construit l’auteur nait le récit bien réel, lui, de l’Histoire des juifs du ghetto de Wilno devenue Vilnius, de la déportation, l’histoire du père de Romain Gary, celle de sa mère bien sûr, Mina Kacew, personnage central de La Promesse de l’aube, l’histoire des grands parents et parents de François Henri Désérable, l’histoire de cette ville, Vilnius, qui a gommé les traces de ses années de souffrance qui pourtant resurgissent çà et là quand la peinture s’écaille ou que les pas s’attardent sur des marches qui ne sont autres que d’anciennes pierres tombales recyclées.
Amoureux de Romain Gary et de son oeuvre (il faut beaucoup aimer un auteur pour apprécier son oeuvre tant la vie et l’oeuvre sont indissociables), François Henri Désérable nous montre comment la littérature peut amener à la réalité, l’exhumer et comment, à l’inverse, la réalité conduit à la fiction. Notre narrateur-auteur souffre ainsi d’une pathologie : des crises de sépia. Il voit alors le monde comme au travers d’un filtre et les images du présent s’effacent devant celles d’un jadis imaginaire.
Désérable a décidément l’esprit vagabond.
Il nous offre là un travail de mémoire tout autant qu’un récit imaginaire et fait du mensonge une variation subjective de la réalité.
Romain Gary n’a-t-il fait toute sa vie durant qu’obéir aux prédictions de sa mère ? Ou comme il le dit lui même » la vie a obéi à ma mère ».
La mère de Désérable ressemble à celle de Gary : des mères qui nourrissent de grandes ambitions pour leur fils, envahissantes, folles et terriblement aimantes. Il en va là aussi de cette relation fusionnelle que nous entretenons parfois avec nos enfants, des rêves que nous projetons sur leur vie à venir.
C’est si juste que les écrivains sont des compagnons de vie. Désérable est un romancier enjôleur. A qui s’adresse le « mon amour » de la première page ? A « Marion », la compagne du narrateur ? A nous, lecteurs, ou lectrices ?
Digression virtuose sur la littérature, M. Piekelny est une fiction qui se fait vérité.
Souhaitons à François-Henri Désérable le beau prix littéraire du Goncourt pour lequel il est cité. Il est également sélectionné pour le Femina, le Renaudot et le Médicis !
Dominique Mallié