Désirs croisés, chapitre 4, Mon histoire, c’est l’histoire d’un amour, une nouvelle de Dominique Mallié.
Après avoir croqué pendant un an notre société, l’amour, les hommes, le couple, les enfants… avec beaucoup d’humour, Dominique Mallié passe à un autre genre, la nouvelle à suivre chaque semaine sur les Boomeuses. Cette semaine le chapitre 4, de DÉSIRS CROISÉS à lire tous les mercredis.
Mon histoire, c’est l’histoire d’un amour…
On sort d’une histoire en entrant dans une autre, pense Anna en marchant au côté d’Antoine.
Les fenêtres en arrondi, quelques journaux sur une table. Les murs sont d’un vert bleuté, partout des photos de l’Afrique, dans cet hôtel Parisien. Ils sont entrés là comme on trouve refuge, à bout du silence entre eux, du désir aussi.
C’est Antoine qui a demandé une chambre. Il a mis sa main sur son cou dans l’ascenseur, il la tient comme ça avec ses doigts qui enserrent sa nuque. Là il sont devant le lit, ils s’embrassent. Anna s’étonne de cette bouche qui se fond dans la sienne.
Après il y a le désir, les vêtements épars sur le sol, les mains qui glissent sur la peau, l’avidité de l’autre. Les mêmes gestes cent fois faits et pourtant différents. Le plaisir de la découverte de la peau, de l’évidence, les mots dits, définitifs, les corps qui s’emboitent. C’est doux et violent à la fois. Le temps s’étire. Ils n’ont pas diné, même pas éprouvé cette faim là. La nuit tombe. Il sont allongés l’un près de l’autre. Ils se racontent.
Antoine et Anna se sont quittés en fin de matinée. Ils se sont quittés sans se retourner, se sont tournés le dos pour repartir chacun dans sa vie, happé par sa vie. Pouvaient-ils penser que l’espace d’une nuit, ils avaient construit ensemble les fondations d’un édifice qui allait leur être commun?
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Claire est seule. Le silence de l’autre, elle ne l’a pas voulu comme elle n’a pas vraiment voulu sa vie avec Antoine, ça s’est imposé, comme dans la nature des choses. Le lieu, peut être, la maison, qui a créé le désir. Il y avait à 50 ans passés une urgence au bonheur, le devoir d’être heureux en quelque sorte, à partir de là elle avait cessé de se poser toutes ces questions qui encombraient, plus jeune, son esprit et à ne plus croire qu’aux évidences.
Maubec, la maison qu’ils ont trouvée ensemble, qu’ils ont voulue pour eux, pour tout recommencer. Longtemps ils ont parlé d’un lieu où habiter et finalement devant l’impossibilité de vivre chez l’un ou l’autre, dans un appartement qu’ils avaient conçu pour leur vie de célibataire, ils se sont lancés dans ce projet de la maison de Maubec. Un coup de foudre d’un dimanche au hasard de leurs pérégrinations : un vieux mas qui prendrait du temps à retaper, cela leur a paru bien, ce projet commun, les amis à venir communs aussi, les cris des enfants, dehors, la piscine qu’ils peindraient en gris foncé pour que la limpidité de l’eau soit plus perceptible encore et surtout le platane dans la cour. Antoine avait une passion pour ces arbres, menacés. Claire a fait du feu, mis un gros pull. Demain elle ira au marché de L’Isle, elle achètera des fleurs qu’elle arrangera au salon, elle travaillera un peu.
Elle éteint l’ordinateur : sa chronique est envoyée. Les livres remplissent toute sa vie depuis qu’elle a trouvé ce travail dans une revue littéraire. Elle était fière au début de voir sa signature et puis elle s’est habituée, comme elle s’est habituée à l’isolement de la vie à la campagne jusqu’à y trouver du plaisir, presque. Elle s’installe devant le feu, allume une cigarette. Antoine rentre lundi, c’est ce qu’il a dit… Elle repense à sa rencontre avec cet homme qui a rempli toute sa vie… Elle pourrait écrire là dessus quelque chose qui commencerait par : « Je marche dans la rue, c’est l’été, je viens de m’installer dans cette ville qui m’est encore étrangère, je croise un homme qui me dit que je suis lumineuse ».
Elle pourrait, mais jeter son histoire sur le papier se serait comme la donner à d’autres, une forme de dépossession. Aura-t-il seulement lu le roman de Marc Dugain qu’elle a déposé dans son sac, Antoine qu’elle sent parfois si loin d’elle?
Le Mistral n’a pas cessé de souffler de la nuit. Claire pousse les volets qui reviennent obstinément à elle. Belle contrepartie de ce vent obstiné : le ciel est d’un bleu limpide mais le froid s’est engouffré partout dans la maison. Pieds nus sur les dalles en ciment, elle grelotte, cherche du regard le pull qu’elle a dû laisser la veille près de la cheminée, se prépare un café bien noir. Le chat la suit, fidèle à ses habitudes, la précède dans la salle de bain, témoin distrait de ce rituel du matin. En haut, dans la chambre, le téléphone sonne, c’est Antoine ; ils échangent sur le temps, le déroulement de la nuit, l’heure du vernissage de cette nouvelle galerie d’Antoine, Villa Santo Dumont, dans le 11ème arrondissement, rue minuscule et verdoyante qu’ils ont aimée d’emblée au point de décider d’ouvrir là la galerie d’Antoine en dépit du prix qui aurait pu être prohibitif. Ils se souhaitent une belle journée, et que vas-tu faire aujourd’hui ? Ils rient. Tout est simple, harmonieux. Ils peuvent raccrocher, ils ont vérifié en quelque sorte. Claire s’allonge sur le lit, s’étire de bien être pendant qu’Antoine, nu, dans une chambre d’hôtel parisienne, entoure Anna de ses bras.
A suivre…
Pour lire les précédents chapitres de Désirs Croisés :
Chapitre 1
Chapitre 2, Anna
Chapitre 3, un petit mot
© Aquarelle, Les amoureux de Notre-Dame de Patrick Pichon en vente sur son site
6 commentaires
rhhhoooo mais comme j’aime ces histoires…. je sais je suis trop sentimentale….. mais c’est tellement bon de lire ce joli texte qui le temps d’un instant nous transporte…….. merci! émoticône 🙂 <3
Merci Corinne pour cet adorable commentaire !
J’ai relus les 3 premiers chapitres et lu le chapitre 4, comme ça, j’ai l’impression d’en lire plus à la fois…
Tic, tac, tic, tac, vivement la semaine prochaine.
Oui, à la fin, vous pourrez relire tout en une fois.. Patience…
🙂 merci Farima pour votre commentaire si agréable !
je suis amoureuse de Patrick Pichon