Laurice Rahmé

Rencontre avec Laurice Rahmé, fondatrice des parfums Bond No. 9

par Anne Bourgeois

En vacances à New York, en sortant de la cathédrale St Patrick, je suis tombée nez à nez sur Bond No. 9 sur la 5e Avenue et sa créatrice Laurice Rahmé, qui a lancé sa maison de parfums en 2003 à l’aube de ses 50 ans.

En effet, en parfumista incorrigible, je n’avais pu résister à l’envie de redécouvrir les fragrances originales de cette marque dédiée à New York et à ses quartiers, que j’avais repérée il y a 20 ans au Sephora des Champs-Élysées.
Laurice Rahmé, de passage dans sa nouvelle boutique, fut intriguée par mon accent anglais teinté de frenchy et m’interrogea sur ma nationalité. Notre discussion spontanée nous a conduits à convenir d’une interview le lendemain dans le magasin historique du 9 Bond Street à Noho. On dit souvent que le hasard fait bien les choses, mais personnellement, je crois plutôt aux vases communicants d’André Breton où les mondes du réel et du rêve ne font qu’un.

Bond No. 9, une marque de niche au cœur du village

bond 9,portrait de boomeuses,

Au cœur de son écrin luxueux, orné de magnifiques flacons fabriqués en Italie et décorés par des artistes new-yorkais ou par Swarovski, je plonge dans l’univers envoûtant de cette Franco-Libanaise qui décida il y a vingt ans, de lancer sa maison de parfums à New York, en collaborant avec les plus grands nez français, Laurent Le Guernec, Maurice Roucel, Michel Almairac, Aurélien Guichard, Harry Fremont…

Bond 9 parfum

Aujourd’hui, 90 senteurs sont distribuées dans 40 pays, complétées par des exclusifs crées pour Saks Fifth Avenue et Harrods.  Le succès international de Bond No. 9, seule société de parfums new-yorkaise de niche, repose sur le charisme et la générosité de sa fondatrice à la trajectoire atypique et détonante.

Quel a été votre parcours avant de créer Bond No. 9 ?

Laurice Rahmé : Après mes études en histoire de l’Art à l’École du Louvre, je suis devenue antiquaire aux Halles. C’était une époque magique. Nous étions jeunes, nous passions notre temps aux Puces, revendant nos trouvailles dans nos petites échoppes. Nous avons vécu des moments extraordinaires. Quand ils ont commencé à tout casser pour construire le Centre Pompidou, les boutiques ont été détruites. Nous avons tout perdu du jour au lendemain. Un de mes clients, qui travaillait chez Lancôme dans le marketing, m’a proposé un job qui me permettrait de voyager. Je lui ai dit que je voulais découvrir les pays arabes, en raison de l’origine de mon père. J’étais intéressée par l’art et l’histoire de ces régions. Il m’a alors offert l’opportunité de former les femmes du Moyen-Orient aux produits de beauté Lancôme, pour leur expliquer comment se démaquiller, appliquer des crèmes, tout ce que nous faisons en France pour prendre soin de notre peau. J’ai rapidement compris l’importance de s’adapter à la culture et à la religion locales.

 Au début, cela n’a pas été facile, de convaincre les hommes du marketing de L’Oréal qui étaient réticents à l’idée de modifier leurs stratégies. Mais j’ai persisté, et j’ai fini par gagner

J’ai développé de nombreux liens d’amitié dans ces contrées lointaines. Ces expériences m’ont appris à m’adapter à toutes les situations, même les plus difficiles, et à apprécier la richesse de la diversité culturelle à travers le monde. Par la suite, je me suis plongée dans l’univers des parfums, en particulier au Moyen-Orient où j’ai découvert leur importance dans la civilisation arabe. J’ai été fascinée par la façon dont les gens les utilisaient, notamment en les achetant en grande quantité et en s’aspergeant avec générosité. En 1976, je suis devenue directrice des Instituts de beauté de Lancôme pour les États-Unis et j’ai établi mes quartiers au siège de L’Oréal USA à New York.

Comment avez-vous décidé de lancer votre maison de parfums de niche ?

À la fin des années 80, à Paris, j’ai rencontré Annick Goutal, la créatrice de parfums. J’ai été nommée présidente des activités new-yorkaises de son entreprise. De 1989 à 1995, j’ai eu la mission d’introduire cette petite société française sur le marché américain et de développer une approche marketing de niche distincte, mettant en valeur le caractère luxueux de la marque à travers ses boutiques. Puis, à partir de 1995, j’ai été responsable de la distribution des parfums Creed aux États-Unis, jusqu’aux années 2000, dans cette boutique située au 9 Bond Street.

 I want New York smell good again

Puis est arrivé le 11 septembre. L’air était imprégné d’une odeur nauséabonde, celle de la mort, de la chair brûlée et du métal en fusion. C’était une véritable horreur. L’ambiance était lugubre. Les restaurants et les magasins étaient fermés dans le quartier, il régnait une atmosphère de désolation. Presque tout le monde avait quitté les lieux. Devions-nous fermer également ? Que faire ? J’ai alors décidé de rester, et de créer une marque pour New York, que je nommerai Bond No. 9, en hommage à notre emplacement. Je voulais faire en sorte que la ville sente bon à nouveau. J’ai lancé simultanément 16 parfums représentant tous les quartiers de New York : Harlem, Madison, Chelsea, Greenwich, Soho, Noho… parce qu’il était essentiel de plaire à tous les New-Yorkais.

parfum BOND n°9

J’ai contacté les plus grands parfumeurs français et leur ai demandé s’ils étaient intéressés par la création de parfums pour ces quartiers. Avec l’esprit de solidarité post -11 septembre, beaucoup se sont engagés. Chacun a choisi le quartier qui l’inspirait en tant que parfumeur-créateur. Par exemple, Maurice Roucel a immédiatement opté pour Harlem et conçu un parfum fabuleux.

parfum BOND n°9

Je leur ai laissé carte blanche, mais j’avais une exigence : que les jus soient composés des matières les plus nobles. Je ne prévoyais pas de fabriquer de grandes quantités à l’origine. C’est ainsi que l’aventure a commencé, dans cette boutique. Vingt ans plus tard, 80 quartiers ont leur propre senteur — dans une bougie, une crème ou un produit de beauté — et chaque année, nous en ajoutons deux ou trois autres.

Cela a-t-il été un défi de lancer votre marque à la cinquantaine ?

J’avais de l’expérience dans le domaine de la niche, mais je n’aurais jamais pu lancer ma marque en France ; cela aurait été impossible. Je ne parle même pas de l’âge, juste du fait que j’étais une femme. À New York, l’apparence est reléguée au second plan au profit de l’énergie émanant des individus. Ici, tout est possible, les femmes sont libres, vous avez le droit d’être « élues. » Parce qu’en fin de compte, c’est vous qui fixez votre propre voie, lorsque vous décidez de démarrer quelque chose d’un peu fou.

 L’âge ne compte pas. Oui, vous avez plus de cinquante ans, donc vous avez donc plus d’expérience et on vous respecte

Or, à cette époque, l’industrie du parfum en France était dominée par la gent masculine qui créait tous les grands parfums féminins. Quand je parlais avec eux, ils avaient leur langage spécifique, leur jargon personnel. J’ai attiré alors leur attention sur l’opportunité unique de collaborer avec une femme capable de déchiffrer les désirs de la consommatrice. Je leur posais donc une question cruciale : « œuvrez-vous pour votre propre satisfaction ou pour celle de la cliente ? Moi, je sais ce que les femmes apprécient. Toutefois, les hommes persistaient à vouloir m’imposer leur vision des choses. Mais, je suis une femme d’affaires et j’ai dès lors joué cette carte « Je ne vous impose aucune restriction budgétaire, vous avez tout l’argent dont vous avez besoin pour réaliser des jus d’exception, par conséquent donnez-moi ce que j’aime ».
Et je l’ai obtenu. Il ne faut jamais essayer de dicter sa conduite à une femme !

Il y a-t-il eu moment particulièrement gratifiant dans votre carrière ?

En 2015, j’ai eu l’honneur de devenir la première parfumeuse au monde à recevoir le prestigieux prix Femmes pour la paix des Nations Unies en reconnaissance de mes efforts pour promouvoir la paix à l’échelle mondiale. J’avais levé des fonds en faveur de cette cause grâce à notre parfum de paix, The Scent of Peace, un de nos best-sellers. Nous avons été la première parfumerie à introduire des parfums à vocation civique. Ainsi, de notre fragrance Liberty Island qui rend un hommage vibrant à la liberté et à la diversité.

Votre routine beauté et bien-être d’entrepreneuse hyper active ?

J’ai aujourd’hui 74 ans et, avec l’âge, j’ai besoin de soins plus riches. C’est pourquoi j’ai commencé à utiliser la Crème Caviar de La Prairie Skin, il y a neuf ans maintenant. Pour décompresser, je porte The Scent of Peace, notre parfum le plus vendu depuis de nombreuses années, il est très relaxant. Avec tout ce qui se passe dans le monde, j’allume beaucoup de bougies de paix. Le dernier produit de beauté que j’ai mis est probablement mon fond de teint La Prairie. J’aime en outre beaucoup la poudre bronzante Terracotta de Guerlain — elle donne l’impression d’avoir bruni sur la plage, elle est très douce et ne dessèche pas. Je fais aussi du yoga Ashtanga avec un coach à deux fois par semaine.

 Mon secret, c’est la médiation que je pratique depuis 25 ans

Chaque matin, je prends le temps de méditer avant de commencer ma journée. C’est une étape essentielle pour moi, car elle me permet de visualiser clairement mon planning dans son ensemble et ce que je dois accomplir. Même si mon entreprise est petite, j’exerce des responsabilités qui me sollicitent de toutes parts.
Et puis, il y a le bonheur de se balader dans New York. Après plus de 30 ans ici, je considère cette ville vibrante comme ma maison où je trouve constamment l’inspiration pour mes futurs parfums.

Portrait Laurice Rahme

Votre prochaine création ?

Turtle Bay , un parfum inspiré par le quartier du même nom à l’est de Manhattan, où siège l’ONU. C’est un challenge, car ce quartier est très masculin, abritant les ambassadeurs des Nations unies. Ils ont une préférence pour les parfums aux notes de fougère, mais ce n’est pas vraiment mon style. Pour moi, les diplomates évoquent plutôt le cuir avec une touche subtile de tabac et de cognac. Mais il faut rester discret !

 

Quelques best-sellers

 

BOND n°9

NEW YORK FLOWERS  Lauréat du prix Harpers Bazaar du meilleur parfum 2023
NEW YORK OUD, 2012 Perfume Extraordinaire of the Year – The Fragrance Foundation
ASTOR PLACE PHOTO, Fragrance of the Year – Women’s Luxury – The Fragrance Foundation
NEW HAARLEM,« Ce jus roule comme une Maserati », a déclaré le New York Times.
NOMAD, Best in Black Beauty Awards 2022 — Fragrance- Essence
GREENWICH VILLAGE

 

A découvrir sur Bond N°9

Anne Bourgeois

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