Les villes de Châtel-Guyon (Puy-de-Dôme) et Vichy (Allier) peaufinent leur identité thermale. Pour autant, les curistes, même accros du peignoir, sortent le nez de leur baignoire à jets. Ils se plaisent à découvrir les atouts naturels et artistiques environnants ou à plonger dans le passé de ces territoires d’Auvergne.
Châtel-Guyon, c’est le cas de le dire, vit entre deux eaux.
La cité qui s’était inventée un destin fastueux de station thermale à la mode à la fin du XIXe siècle vit un lent déclin.
Comme beaucoup d’autres, elle a souffert de l’essor du balnéaire, des vacances en bord de mer et d’une image ringarde. Certes, elle affiche de beaux restes et ce n’est pas sans un brin de nostalgie que l’on parcourt la majestueuse galerie des Grands Thermes à l’ambiance orientale… toujours en quête d’un repreneur. La déambulation dans le parc s’accompagne des gargouillis chantants d’une eau qui sourd naturellement. Un ancien kiosque rappelle l’âge d’or de la ville d’eau, tout comme les superbes villas Art nouveau des rues alentour.
Mais plus loin, la ronde des engins de chantier résonne comme une promesse de renouveau.
Au printemps 2020, un Resort intégrant établissement thermal, spa, résidence hôtelière et centre de recherche sur le microbiote verra le jour. C’est le pari du Groupe France Thermes que de marier traitement des maladies de l’intestin et bien-être en élevant Châtel-Guyon au rang de site de référence.
La porte d’entrée sur les volcans d’Auvergne
Châtel-Guyon sert aussi de porte d’entrée vers les volcans d’Auvergne. Sur la route, surplombant la plaine de la Limagne, se dresse bientôt comme une vigie l’antique château de Tournoël, perché sur un éperon rocheux.
On se remémore les mots de Guy de Maupassant, écrits voici plus d’un siècle dans « Mont-Oriol » : « Il dessinait sur un ciel d’apparitions sa grande silhouette de manoir fantastique ». Plus haut, au hameau Viallard, c’est une autre apparition séduisante qui nous attend. Au travers de pierres sculptées assemblées comme un puzzle, nous apercevons la chaîne des Puys et son volcan majeur, le Puy de Dôme (1465 mètres).
L’œuvre est signée de Thierry Courtadon. Nous rejoignons l’artiste dans son atelier situé à deux pas de la gare de Volvic. C’est un tailleur de pierre heureux que nous rencontrons.
« J’ai pris la suite de mon grand-père et de mon père, et aujourd’hui, à 50 ans, je réalise ce que je rêve ».
Foulard façon corsaire sur la tête, il nous présente une succession de trophées conquis de haute lutte : des plaques qui ressemblent à des moucharabiehs, des œuvres si finement sculptées qu’elles paraissent être des dentelles de pierre.
Comme pour attester de sa connaissance fine de la pierre de Volvic, il en a même tiré des sortes de ressorts sur lesquels il frappe gentiment. Le succès étant au rendez-vous – il exporte de New-York aux Émirats – Thierry Courtadon a constitué une Pme de 7 employés. Mais il se réserve la conception et le façonnage. Ambassadeur de la région, le sculpteur bouillonne d’impatience en attendant la consécration, une « performance » prévue en 2020, une exposition de ses œuvres les plus abouties au sommet du Puy-de Dôme.
Il ne s’arrêtera sans doute pas là. Le tailleur de pierre, qui tord et déforme cette matière réputée indestructible et maîtrise si bien son art, veut continuer à vivre de sa passion.
Pause au domaine royal de Randan
Envisagé comme une possible retraite par le roi Louis-Philippe, le château fut surtout le lieu de villégiature de la Maison d’Orléans au début du XIXe siècle. Il est à présent en pleine restauration. Mais le toit-terrasse et les vitraux de la chapelle méritent le détour, tout comme l’étonnant musée de la chasse.
Il rassemble 452 animaux tués par Ferdinand d’Orléans (1884-1924), duc de Montpensier, au cours de ses voyages à travers le monde et naturalisés par le talentueux taxidermiste londonien Rowland Ward.
Les vitrines sont composées comme des tableaux : jeux de jeunes jaguars, condor sur le point de s’envoler ou tigre asiatique menaçant. Le « personnage excessif », dixit Baptiste, notre guide local, mérite qu’on s’y arrête. Le passionné de chasse se révèle aussi explorateur. En 1906 – petit exploit – il effectue le trajet Saigon/Angkor en automobile. Il mène grand train, adoptant bien avant l’heure un mode de vie « bling-bling ». Porté sans modération sur la consommation d’opium et de morphine, il mourra d’une overdose à 40 ans.
Vichy, des Romains à Napoléon III, en passant par les Célestins
« Osez entrer », suggère une inscription à l’entrée de l’établissement Vichy Célestins.
On ne se laisse pas prier, d’autant qu’on nous propose un relaxant soin du visage suivi d’une brève oxygénation à l’essence de pin.
Pour tester l’emblématique « massage à 4 mains sous affusion d’eau thermale », il faut se rendre aux voisins Thermes des Dômes. Détendu et tonifié, nous sommes fin prêt pour la visite de la ville. On apprend d’emblée que Vichy s’est associée à dix autres villes représentatives du thermalisme européen (Baden-Baden, Spa, Karlovy Vary…) pour figurer demain sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
En attendant, nous nous projetons dans le passé. Si les Romains prenaient déjà les eaux, c’est au XVe siècle, nous renseigne Nathalie, notre guide, que les moines découvrent des sources qui jaillissent au pied du couvent des Célestins. Manière d’hommage, l’eau minérale de Vichy perpétue le nom des Célestins.
Par la suite, quelques curistes célèbres firent monter la renommée de Vichy. La marquise de Sévigné vantait ses « eaux miraculeuses » contre les rhumatismes, tandis que Napoléon III entreprit de transformer la ville en station internationale.
En retour, elle lui multiplie à présent les marques de reconnaissance.
Le long de l’Allier, le parc Napoléon III abrite plusieurs chalets impériaux. Non loin du chalet des Roses, de style savoyard, on remarque une élégante bâtisse dotée d’un balcon à balustres nommée « chalet Eugénie ». Son histoire n’est pas banale. Napoléon III avait coutume de faire venir ses maîtresses lors de ses cures. Tel fut le cas de la comédienne Marguerite Bellanger. En 1863, Eugénie de Montijo décide cependant de rejoindre son époux à Vichy. Lors d’une promenade, le couple impérial croise la favorite.
Son petit chien se précipite alors vers Napoléon III, bondissant à ses pieds comme si c’était son maître. Eugénie tourne les talons face à cette « offense publique » et quitte Vichy. Pour se faire pardonner, l’empereur fait construire ce chalet à l’épouse bafouée. Mais Eugénie ne revint jamais à Vichy.
Passé sous silence
Dans les années 30, Vichy est la place où il faut être vu. Sa dizaine de palaces qui n’ont rien à envier à ceux de Paris ou de Nice, accueillent quelque 150 000 curistes et touristes chaque année. Changement de décor lors de la Seconde guerre mondiale. Entre 1940 et 1944, Philippe Pétain réquisitionne les hôtels de la ville et y transfère le siège du pouvoir exécutif. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale réunie au Grand casino vote les pleins pouvoirs au maréchal. C’est la fin de la IIIe République. Et le début du régime de Vichy.
Sur la façade du Palais des congrès ornée de cariatides évoquant les quatre saisons, une mention un peu sibylline signale que « 80 parlementaires ont par leur vote affirmé leur attachement à la République ». Manière de dire qu’une minorité de députés – SFIO surtout – comme Léon Blum, Vincent Auriol, Félix Gouin ou Marx Dormoy ont voté contre le changement de régime.
Le long d’une allée du parc des Sources, en face du vaste hôtel du Parc où résida Pétain, une discrète plaque commémorative signale que « le 26 août 1942, le gouvernement de l’Etat français a déclenché sur tout le territoire de la zone libre une gigantesque rafle de Juifs étrangers.
Plus de 6500 d’entre eux, dont des centaines d’enfants, ont été arrêtés ce jour-là et livrés aux Nazis en zone occupée, d’où ils ont été aussitôt déportés sans retour vers le ccamp d’extermination d’Auschwitz ».
C’est tout pour ce qui est du devoir de mémoire. Rien ne signale un peu plus loin que l’ex-hôtel Portugal fut hier le siège de la Gestapo. Comme l’indique la jeune historienne Audrey Mallet, native de Vichy, tout se passe comme si les diverses équipes municipales qui se sont succédé depuis plus de 70 ans avaient décidé de « ne pas affronter les fantômes du passé ». Elles préfèrent entretenir le mythe victimaire, dénoncer la fréquente confusion opérée ente « les Vichyssois » et les « Vichystes » et rejeter l’opprobre injuste qui pèse sur les habitants de la ville.
Pourtant, l’affirmation d’une identité exclusivement thermale apparaît un peu courte. On nous le confirme à l’Office de tourisme de la ville. « En raison de la demande des visiteurs, nous avons dû doubler le nombre de circuits à caractère historique, en passant de deux à quatre par semaine, sur le thème, Vichy, capitale de l’État français, 1940-1944 ».
Réconfortant de constater que cures de remise en forme et entretien de la mémoire peuvent aller de pair. Le journaliste et écrivain Albert Londres, lui aussi natif de Vichy, incitait à « porter la plume dans la plaie ». Il n’est jamais trop tard pour rompre avec la quasi « amnésie officielle ». Pour qu’enfin, Vichy la silencieuse, ne constitue plus une anomalie dans le paysage mémoriel français.
Infos pratiques
° Y aller.
Paris (gare de Bercy)- Riom / Châtel-Guyon : 3h20 en train.
Vichy-Paris (gare de Bercy) : 2h58 en TGV.
° Y séjourner.
À Châtel-Guyon, hôtel Chante-Grelet. Tél : 04 64 22 75 14
À Vichy, l’hôtel Mercure Vichy Thermalia offre un accès direct aux Thermes Les Dômes. Tél : 04 70 30 52 52.
www.thermhotel.com
° Y déjeuner.
Restaurant de l’hôtel « Les Nations » à Vichy.
° À lire.
Aux origines de la station de Châtel-Guyon : « Mont-Oriol », par Maupassant (Folio).
Sur l’histoire de Vichy : « Vichy contre Vichy. Une capitale sans mémoire, par Audrey Mallet (Ed. Belin, 304 p. 24 €, 2019).
Guide Petit Futé Auvergne 2019.
° Renseignements.
www.auvergne-thermale.com, www.villesdeaux.com www.lesaccrosdupeignoir.com, http://fr.auvergnerhonealpes-tourisme.com et www.vichy-destinations.fr, www.terravolcana.com
Texte : Yves Hardy
Photos : Yves Hardy, CRT et Thermes de Vichy.