Aisne puissance 2

par Yves Hardy

Dans les Hauts-de-France, le département de l’Aisne s’étire de la septentrionale Thiérache jusqu’aux confins de la Champagne. Les douloureux souvenirs de la Grande guerre ont marqué le territoire et les esprits mais n’empêchent pas ses vallées méridionales de pétiller. Qui m’Aisne me suive !

L’Aisne est terre de mémoire

Au sud de Laon, plus de 200 000 hommes sont morts sur le chemin des Dames, entre 1914 et 1918. La région est parsemée de cimetières et de monuments commémoratifs. Lors de notre passage, un hommage était rendu à Cerny-en-Laonnois aux soldats britanniques ainsi qu’au bataillon du Pacifique qui avaient combattu en ces lieux. Dans la chapelle du hameau, une plaque salue aussi la mémoire des tirailleurs sénégalais. À proximité reposent les restes des soldats alliés et allemands. Croix blanches individuelles agrémentées de bouquets de fleurs dans l’un, croix grisâtres fichées sur des tombeaux accueillant quatre corps dans l’autre.

 

 

 

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La région est parsemée de cimetières

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Autre surprise, la tombe d’un soldat « mutin », Albert Truton, figure parmi celles de ses frères d’armes. « En fait, nous commentera plus tard, Léandre, guide local, Albert Truton était un caporal qui s’était distingué à Verdun pour son courage. Là, il demandait seulement plus de repos pour ses hommes et lui avant de remonter au front. Comme gradé, il sera condamné pour refus d’obéissance et sera fusillé pour l’exemple en compagnie de 25 autres officiers et sous-officiers.» « Des membres de sa famille, sont venus en visite ici il y a quelques mois, reprend Léandre. Je leur ai lu la lettre qu’Albert Truton avait écrit à son épouse avant de passer en Conseil de guerre. Il gardait l’espoir d’être acquitté et d’obtenir bientôt une permission.» « Inutile de vous dire que leur douleur était perceptible, même un siècle après ces événements.»

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Il y a 100 ans, l’enfer

Pour imaginer le quotidien des troupes, rien de tel que de visiter la Caverne du Dragon. Dans cette carrière souterraine, qui a changé plusieurs fois de mains, soldats français et allemands ont même cohabité – sans fraterniser – séparés seulement par un mur. Cette grotte humide est située à 14 mètres sous terre. Une succession de cavités rehaussées de photos d’époque évoquent l‘heure de la soupe, la zone de repos servant de dortoir ou encore l’infirmerie où s’activaient les brancardiers. « Ceux-là, explique Léandre, étaient surnommés les suicidaires. Ils devaient éviter les innombrables projectiles pour aller chercher dans les no man’s land, leurs camarades blessés. » « Ensuite, poursuit-il, médecins et infirmiers opéraient un tri. On soignait en priorité les blessés légers, capables de repartir au front… ». Moment d’émotion encore au sortir de la Caverne. Une exposition présente quelques objets confectionnés par les poilus lors des pauses : douilles gravées, avionnettes bricolées avec soin, etc. « C’est une manière de rappeler aux visiteurs, familles et scolaires, que les soldats étaient aussi des civils comme tout un chacun. »

Nous passons au village de Craonnelle. Il comptait 600 habitants avant la guerre. Il a été entièrement rasé par une pluie d’obus et de bombardements. Seules subsistent les caves des maisons qui se sont effondrées sur elles-mêmes. Parmi les panneaux explicatifs figure une reproduction de la fameuse chanson de Craonne et de son lancinant refrain : « Adieu la vie, adieu l’amour/ Adieu à toutes les femmes/ C’est bien fini et pour toujours/ De cette guerre infâme/ C’est à Craonne, sur le plateau/ Qu’on doit laisser sa peau/ C’est nous les condamnés/ C’est nous les sacrifiés. »

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Sculpture en hommage aux morts de la guerre

Le voisin plateau de Californie, en forme de promontoire, domine un paysage bucolique, apaisant, où la nature a repris ses droits. Comme imaginer qu’il fut voici cent ans, lors de l’offensive du général Nivelle d’avril 1917, le théâtre d’une véritable boucherie humaine : 30 000 morts en dix jours pour gagner seulement 500 mètres de terrain ?

Il faut rejoindre Laon, jadis choisie comme capitale par les Carolingiens, pour reprendre ses esprits. On admire ses 7 kilomètres de remparts, sa jolie cathédrale gothique ou encore son étonnante chapelle octogonale édifiée au XIIe siècle par les Templiers. « Si, à la différence de Soissons ou Saint-Quentin, la ville a été relativement épargnée par les tirs d’artillerie, c’est qu’elle abritait un QG allemand », raconte Christelle Clément, notre accompagnatrice. Au cœur de l’Aisne, on porte toujours le passé en bandoulière.

 

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Des balles aux bulles

Autre lieu, autre réalité. Du côté de Château-Thierry, les viticulteurs ont dû mener une bataille – très pacifique celle-là – pour faire admettre qu’un bout de Picardie pouvait bénéficier de l’appellation Champagne. Tous par ici rendent hommage à leur porte-parole, le député radical-socialiste Louis-Émile Morlot, qui mena cette campagne avec succès au début du XXe siècle. Le prestigieux vin effervescent n’était plus, désormais, un monopole de la Marne, de la Haute-Marne et de l’Aube. Aujourd’hui, quelque 3400 hectares de vigne recouvrent les coteaux du sud de l’Aisne.


Justement, nous rejoignons sur son terroir, à proximité de Charly-sur-Marne, l’un de ces heureux viticulteurs, Olivier Gratiot. En compagnie de son frère Sébastien, Olivier a repris la tradition familiale et cultive 18 hectares. « Chaque région de Champagne – la Montagne de Reims, la Côte des Blancs, la Côte des Bar et la vallée de la Marne – procède à de subtils assemblages des trois cépages caractérisant l’appellation, le pinot meunier, le pinot noir et le chardonnay. » Il ajoute que « par chez nous, c’est le pinot meunier qui domine. » Autre originalité : on imaginait ce milieu viticole prospère très individualiste. Or, Olivier Gratiot nous signale que son domaine a rejoint la coopérative Pannier, forte de 400 sociétaires, propriétaires de 700 hectares. Il fait même partie de son conseil d’administration. « C’est un atout de travailler ensemble, complète-t-il, cela permet notamment un suivi de la qualité et des améliorations. »

Vient l’heure, attendue, de la dégustation. Nous goûtons des bruts, puis des extra-bruts deux fois moins dosés en sucre, tous gouleyants à souhait. Les prix sont raisonnables : autour de 14 € la bouteille au caveau, soit quelque 22 € chez les cavistes. Notre préférence va à une cuvée millésimée « Vieilles vignes », le brut Héritage 2011, assemblage de 59 % de pinot meunier, de 23 % de chardonnay et de 18 % de pinot noir. Ses très fines petites bulles emportent un parfum de fruits matures.

La déambulation se poursuit le long de la vallée de la Marne. À Trélou-sur-Marne, Sandrine Charpentier-Olivier, au terme d’un accueil convivial dans sa maison « Veuve Olivier & Fils », nous invite à une séance de dégorgement à la volée. Muni d’une clé à dégorger, le technicien provoque l’expulsion du dépôt de levure concentré dans le col de la bouteille sous l’effet de la pression interne. Non loin, à Passy-sur-Marne, au domaine familial Biard-Loyaux (10,8 hectares), des bouteilles à la robe rose intense attirent l’attention. « C’est un champagne rosé de saignée », précise Laurent Biard. Mais encore ? « Il résulte d’une vinification particulière. Nous laissons macérer les raisins quelques heures afin que le jus se teinte naturellement. Comme un vin rosé traditionnel. » Le résultat est plaisant : ce champagne aromatique restitue en bouche le croquant du raisin frais.

Ainsi agréablement grisé, on poursuivrait bien l’escapade, mais le temps manque. On retient que si près de Paris, il serait dommage de ne pas franchir à nouveau les Portes de la Champagne, d’autant qu’un grand festival oenotouristique pointe le bout de son nez. Rendez-vous donc, les 21 et 22 octobre prochains à Château-Thierry pour découvrir de nouveaux arômes et trinquer à la santé de l’Aisne !

Yves Hardy
Photos Yves Hardy et Aisne Tourisme

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Infos pratiques

° L’Aisne est distante de 90 kilomètres de la capitale. Y aller en train : Paris-Château-Thierry en TER depuis la gare de l’Est (en moins d’une heure) ou Paris-Laon depuis la gare du Nord en 1h 30.

Se loger et se nourrir :

  • Dans un écrin de verdure, une demeure de charme, le Château de la Marjolaine à Essômes-sur-Marne : www.chateaumarjolaine.com

  • Au bord du lac de l’Ailette à Chamouille : l’hôtel du Golf : www.ailette.fr

 À faire : – Se replonger au cœur de la Grande guerre : www.chemindesdames.fr

– participer au festival œnotouristique « Champagne et Vous », les 21 et 22 octobre 2017 à Château-Thierry : www.champagne-et-vous.fr/

Guides : Le Petit futé Hauts-de-France (2017) et celui consacré aux lieux de mémoire. www.petitfute.com

Renseignements : Agence Aisne Tourisme à Laon. Tél : 03 23 27 76 76

www.jaimelaisne.com

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2 commentaires

brigitte dusch 13 octobre 2017 - 17h40

Un grand merci à vous pour ce bel article et cet hommage. Une génération sacrifiée, des vols arrêtés, des vies brisées. Des monuments aux morts et des cimetières à perte de vue. C’est fort, c’est dur, tant le passé est présent. L’Aisne c’est aussi et surtout une terre, et un fleuve, ma rivière, des collines, des forêts et une âme. L’Aisne s’écoule, intranquille, tortueuse et capricieuse au fil des paysages. Oui, vous avez raison. ll faut partir à sa rencontre.

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adebiaye 13 octobre 2017 - 19h59

Merci pour ce bel article sur ce beau département plein de contrastes et d’histoire
C’est aussi Villers Cotterets et Alexandre Dumas, La Ferté Milon et Racine, Villeneuve sur Fère et la famille Claudel, ses révolutionnaires Saint Just et Camille Desmoulins, St Quentin et Quentin de la Tour, Soissons et son vase, le Familistère de Guise, le musée de la déportation de Tergnier, la forêt de St Gobain et tant de choses encore

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