Nous avons toutes eu au moins une poupée dans notre enfance. Même si certaines d’entre nous ont préféré jouer avec les Meccano de leurs frères, il y a quelques décennies la poupée faisait partie de la panoplie des jouets qu’une petite fille recevait en cadeau.
En cela, nous ne sommes pas originales. Ce jouet dit « transitionnel » – le nom que lui a donné le célèbre pédopsychiatre et psychanalyste anglais Donald Winnicott – possède une longue histoire, puisqu’on en a retrouvé la trace dans des tombeaux égyptiens, aux côtés des enfants qui les avaient possédées. Au cours des siècles, des poupées ont été fabriquées dans le monde entier, avec des matériaux divers, selon les époques, et ce dont disposaient ceux et celles qui les fabriquaient. Mises à part celles qui étaient utilisées pour des cérémonies de type religieux, ou pour des rituels (sans oublier leur rôle de mannequins de mode, au 19ème siècle), leur fonction première était de familiariser les petites filles à leur futur rôle de maman.
Les nôtres, en France, étaient très majoritairement blanches, représentant ainsi la « norme ».
C’était également le cas aux USA, y compris parmi la population noire, jusqu’à ce que celle-ci assume et revendique sa « négritude ». L’histoire de cette évolution, voire de cette révolution, est visible en ce moment à Paris, et pour la première fois hors des États-Unis, grâce à une exposition spectaculaire à la maison rouge : celle de la collection de Deborah Neff.
Des centaines de poupées noires, symboles de résistance de la femme afro-américaine à découvrir lors d’une passionnante exposition.
On y découvre là plusieurs centaines de ces poupées artisanales noires, créées par des femmes africaines-américaines depuis la période de l’esclavage jusqu’au milieu du 20ème siècle. Fabriquées à la main, à l’aide de matériaux et de tissus étonnants (en chiffon, en cuir, mais aussi en papier mâché !) de taille, de couleurs et de forme variables, elles nous permettent de comprendre l’évolution d’un peuple, à mesure qu’il s’affranchissait des diktats de la majorité blanche, et de son oppression.
Les poupées que donnaient les mamans noires à leurs fillettes ont donc longtemps été blanches, si fort était le modèle auquel il leur fallait aspirer. Il ne se trouvait pas dans le commerce de poupées noires, et les moyens auraient sans doute manqué pour en acheter. Il fallait donc les inventer. Leurs formes, leur taille, leur allure dépendaient des moyens dont disposaient les femmes (et parfois les hommes) pour les concevoir, les fabriquer, les coudre, les broder.
Toutes celles qui sont présentées dans cette exposition ont une histoire à raconter.
Elles sont touchantes dans leur simplicité, et parfois étonnantes de complexité. Leur teinte varie du noir profond au beige, illustrant ainsi le métissage forcé que les femmes africaines-américaines ont eu à subir.
Sous la nef centrale du lieu, et au cœur de cette exposition, on remarque d’ailleurs des poupées réversibles, appelées « topsy-turvy », dont le ventre, recouvert d’une jupe mobile, est relié à deux têtes : l’une noire, l’autre blanche. Il nous est expliqué qu’elles représentaient la dualité associée aux enfants tantôt noirs, tantôt blancs, issus des viols que perpétraient les maîtres blancs sur leurs esclaves noires. L’écrivain Stephanie V. Siek y voit « un miroir de la vie de la femme afro-américaine. Elle prenait soin d’enfants blancs mais avait, elle aussi, des enfants, l’enfant blanc est présent quand l’enfant noir est caché, l’enfant noir est présent lorsque l’enfant blanc est invisible. »
La collection de photographies qui accompagne cette exposition est tout aussi impressionnante. Elle nous permet de comprendre l’histoire compliquée des relations qui existaient entre les petits enfants africains-américains et leurs poupées, mais aussi celle de l’évolution des mentalités aux États-Unis.
On l’aura compris, c’est une visite exceptionnelle, à ne pas manquer, mais attention, l’exposition ne dure que jusqu’au 20 mai 2018. Courez-y vite !
Black Dolls, la collection Deborah Neff
La maison rouge
10 boulevard de la bastille.
75012 paris
tel. +33(0) 1 40 01 08 81
Jusqu’au 20 mai 2018.