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Pressentiment
Le marché du dimanche de L’Isle, même au coeur de l’hiver, reste bruyant et coloré. Les blouses volent au vent et avoisinent des culottes taille XXL. Son panier au bras, Claire progresse au milieu de la foule, choisit avec soin quelques légumes, le fromage qu’Antoine aime. Il sera là demain.
Elle s’installe confortablement en terrasse, commande un café au serveur qui s’étonne d’une « si jolie dame dehors par ce froid » et « toute seule, peuchère, encore un fada ? » , elle rit : c’est ce sud qu’elle aime aussi. De la légèreté, des relations de surface, de l’accent qui rendrait dérisoires toutes les tragédies. Les grandes, celles de la littérature, mais aussi les plus quotidiennes.
Il lui faut s’habituer aux absences d’Antoine qui sont fréquentes : la galerie ouvre toutes les fins de semaines, du jeudi au dimanche pour l’instant, après, dans quelques mois, ils verront, c’est ce qu’ils se sont dits quand ils ont eu ce nouveau projet, quand la maison de Maubec a été finie. Il leur avait fallu alors autre chose vers quoi aller ensemble : l’art, leur passion commune. Une galerie, c’était ça qui leur fallait. Ils ont pensé des soirées entières aux artistes qu’ils inviteraient, ils ont tissé un à un les fils de cette nouvelle toile qui les liait. La confiance, Claire avait fait à Antoine le cadeau de la confiance à mener à bien ce projet : le réseau d’artistes c’était lui qui l’avait patiemment construit dans une vie de collectionneur, elle apportait sa connaissance acquise dans ses lectures, sa curiosité sans cesse en éveil, son goût aussi, instinctif presque, de ce qu’il allait falloir montrer dans ce lieu Parisien qu’ils avaient élu.
Claire arrange les fleurs qu’elle a achetées. Elle aime par dessus tout ces après-midi oisifs, entre un livre, une émission à la radio, s’occuper d’elle. Vers 19h Antoine appellera, il racontera comment s’est passé ce vernissage, les amis là, les bavardages des uns et des autres, l’accueil fait à cet artiste par un public choisi, trié sur le volet dans la presse spécialisée pour qu’on parle de la galerie. Elle attend, se surprend à le faire avec comme une appréhension au creux du ventre, quelque chose qu’elle ne connait pas, de sourd qui monte en elle doucement, insidieusement. Alors elle appelle un de ces fils, le réveille semble-t-il, ils bavardent de la semaine, du travail à l’agence moins intéressant qu’il ne le pensait au début, ils ont fait la fête, oui, hier soir, une petite soirée jusqu’à 7 h du matin, et toi mamou, ça va ? Oui, tout va bien, petit week-end tranquille, Antoine est à Paris, il rentre demain, oui, ne t’inquiète pas, j’ai été au marché, je vais bien . Et puis voilà, il baille, c’est fini, il retourne à sa vie, sa colocation, son amoureuse. Ses deux fils sont loin maintenant, pas tant dans la géographie. Ils vivent une vie qui lui serait presque étrangère s’ils n’étaient si présents dans leur tendre affection.
Dehors, le jour se finit. Antoine n’a pas appelé, il n’appellera pas.
A suivre…
Pour lire les précédents chapitres de Désirs Croisés :
Chapitre 1
Chapitre 2, Anna
Chapitre 3, un petit mot
Chapitre 4, mon histoire, c’est l’histoire d’un amour
© Aquarelle, Namur, Place du marché aux légumes, de Patrick Pichon en vente sur son site
Désirs croisés, chapitre 5. Avant-dernier chapitre de cette nouvelle écrite par Dominique Mallié.
Après avoir croqué pendant un an notre société, l’amour, les hommes, le couple, les enfants… avec beaucoup d’humour, Dominique Mallié passe à un autre genre, la nouvelle à suivre chaque semaine sur les Boomeuses.
Pressentiment
Le marché du dimanche de L’Isle, même au coeur de l’hiver, reste bruyant et coloré. Les blouses volent au vent et avoisinent des culottes taille XXL. Son panier au bras, Claire progresse au milieu de la foule, choisit avec soin quelques légumes, le fromage qu’Antoine aime. Il sera là demain.
Elle s’installe confortablement en terrasse, commande un café au serveur qui s’étonne d’une « si jolie dame dehors par ce froid » et « toute seule, peuchère, encore un fada ? » , elle rit : c’est ce sud qu’elle aime aussi. De la légèreté, des relations de surface, de l’accent qui rendrait dérisoires toutes les tragédies. Les grandes, celles de la littérature, mais aussi les plus quotidiennes.
Il lui faut s’habituer aux absences d’Antoine qui sont fréquentes : la galerie ouvre toutes les fins de semaines, du jeudi au dimanche pour l’instant, après, dans quelques mois, ils verront, c’est ce qu’ils se sont dits quand ils ont eu ce nouveau projet, quand la maison de Maubec a été finie. Il leur avait fallu alors autre chose vers quoi aller ensemble : l’art, leur passion commune. Une galerie, c’était ça qui leur fallait. Ils ont pensé des soirées entières aux artistes qu’ils inviteraient, ils ont tissé un à un les fils de cette nouvelle toile qui les liait. La confiance, Claire avait fait à Antoine le cadeau de la confiance à mener à bien ce projet : le réseau d’artistes c’était lui qui l’avait patiemment construit dans une vie de collectionneur, elle apportait sa connaissance acquise dans ses lectures, sa curiosité sans cesse en éveil, son goût aussi, instinctif presque, de ce qu’il allait falloir montrer dans ce lieu Parisien qu’ils avaient élu.
Claire arrange les fleurs qu’elle a achetées. Elle aime par dessus tout ces après-midi oisifs, entre un livre, une émission à la radio, s’occuper d’elle. Vers 19h Antoine appellera, il racontera comment s’est passé ce vernissage, les amis là, les bavardages des uns et des autres, l’accueil fait à cet artiste par un public choisi, trié sur le volet dans la presse spécialisée pour qu’on parle de la galerie. Elle attend, se surprend à le faire avec comme une appréhension au creux du ventre, quelque chose qu’elle ne connait pas, de sourd qui monte en elle doucement, insidieusement. Alors elle appelle un de ces fils, le réveille semble-t-il, ils bavardent de la semaine, du travail à l’agence moins intéressant qu’il ne le pensait au début, ils ont fait la fête, oui, hier soir, une petite soirée jusqu’à 7 h du matin, et toi mamou, ça va ? Oui, tout va bien, petit week-end tranquille, Antoine est à Paris, il rentre demain, oui, ne t’inquiète pas, j’ai été au marché, je vais bien . Et puis voilà, il baille, c’est fini, il retourne à sa vie, sa colocation, son amoureuse. Ses deux fils sont loin maintenant, pas tant dans la géographie. Ils vivent une vie qui lui serait presque étrangère s’ils n’étaient si présents dans leur tendre affection.
Dehors, le jour se finit. Antoine n’a pas appelé, il n’appellera pas.
A suivre…
Pour lire les précédents chapitres de Désirs Croisés :
Chapitre 1
Chapitre 2, Anna
Chapitre 3, un petit mot
Chapitre 4, mon histoire, c’est l’histoire d’un amour
© Aquarelle, Namur, Place du marché aux légumes, de Patrick Pichon en vente sur son site