CINEAM BABYGIRL

Babygirl, le continent noir de la sexualité féminine

par Anne Bourgeois

Dans Babygirl, Nicole Kidman, Antonio Banderas et Harris Dickinson explorent avec une intensité rare les zones d’ombre du désir féminin. Une œuvre qui interroge sans détour les tabous, le consentement et la place des fantasmes féminins dans notre société.

Babygirl, un film sur le continent noir de la sexualité féminine

Ne vous fiez surtout pas aux critiques contradictoires sur le film. Il faut le voir pour se faire sa propre opinion. Babygirl, à l’instar de The Substance de Coralie Fargeat s’inscrit dans une tendance marquante du cinéma contemporain actuel : celle où ce sont des femmes réalisatrices qui font les films les plus subversifs en explorant les recoins les plus sombres de notre psyché. Fait notable : ce sont souvent les Américains qui produisent ces œuvres transgressives, illustrant la profonde dichotomie entre une Amérique puritaine et une autre, et celle que l’on aime, en roue libre  

Alors que dire de Babygirl, sinon qu’il plonge dans le continent noir de la sexualité, celui où toutes les perversions sont permises, no limit jusqu’à l’indicible. Nicole Kidman, incarne jusqu’au vertige cette mise en abysses, où le flou ouvre les portes de la jouissance rauque. Au-delà des scènes de sexe qui sont extrêmement érotiques — on peut le dire — ce film va bien plus loin. Il s’aventure au cœur des fantasmes féminins, ces désirs enfouis dont les femmes n’osent jamais parler, muselées par la crainte du jugement. Après tout, dans une société où l’imaginaire érotique demeure trop souvent l’apanage du masculin, leur voix reste reléguée au silence.

La réalisatrice n’a absolument pas peur d’aborder de plein fouet le sujet et de donner la parole à une femme. On se situe davantage dans la lignée d’Anaïs Nin et d’Henri Miller, les fantasmes flirtent non sans joie avec la perversion, que dans celle de Fifty Shades of Grey et ses clichés d’une sexualité éculée. 

Par ailleurs, ce qui frappe particulièrement dans ce film, c’est la manière dont la question du consentement est abordée dans des relations mêlant domination et soumission, parfois à la limite du sadomasochisme. C’est une réflexion générationnelle qui, à l’ère post #MeToo, prend toute son importance : « je veux franchir avec toi tous les tabous. » Le consentement représente une liberté affirmée, et c’est là l’essentiel.

Une fantasmagorie à l’os tourné dans le respect

Ce qu’on retient aussi, c’est l’alchimie entre les deux comédiens principaux. Ce n’était certainement pas simple de tourner certaines scènes, mais ce qui en émerge avec force, c’est la profondeur de la relation entre leurs personnages. Romy, avec ses fantasmes et ses désirs, est totalement ignorée, voire rejetée, par son mari joué par Antonio Banderas. Il se retrouve désemparé devant cette femme qu’il ne comprend plus. À l’inverse, son amant, Samuel, joué par Harris Dickinson, la saisit pleinement, dans toute sa complexité, sans filtre ni jugement, avec une compréhension instinctive et une tendresse infinie illustrée par une scène d’anthologie. Dans une boîte de nuit, Kidman, au milieu de jeunes déchaînés de 25-30 ans, semble perdue. Elle tend une main désespérée vers son amant pour tenter de le rejoindre au milieu d’une musique assourdissante comme un navire à la dérive. Il la ramène au rivage, épuisée. 

Babygirl
FIlm babygirl avec Nicole Kidman

En ce qui concerne le tournage, la réalisatrice a fait preuve d’un immense respect pour ses comédiens. Lors du tournage des scènes intimes, elle a veillé à ce que l’équipe technique soit absente, des micros avaient été dissimulés dans les murs. Seule elle-même et la directrice de la photographie étaient présentes. Des coordinateurs d’intimité étaient sur le tournage, un rôle essentiel aujourd’hui pour éviter tout malaise ou gêne pour les acteurs. 

La suite de «Eyes Wide Shut» de Stanley Kubrick

Nicole Kidman, époustouflante, a reçu le prix Volpi de la meilleure interprétation féminine à la dernière Mostra de Venise. Harris Dickinson, déjà remarquable dans ses précédents rôles, est sexy comme un diable et d’une finesse troublante. Quant à Antonio Banderas, il est à contre-rôle du bel espagnol et du mâle dominateur, en interprétant un homme vieillissant, pathétique, dépassé par ce qui lui échappe.

En fin de compte, Baby Girl s’impose comme une sorte de suite à Eyes Wide Shut. Certes, il n’en partage pas l’aura macabre, mais il explore une autre forme de mort : celle de la femme ensevelie sous le poids de la famille, des enfants et des injonctions sociales. Des vérités crues et universelles, omniprésentes en littérature, mais rarement mises à nu au cinéma.

Babygirl
De la réalisatrice néerlandaise Halina Reijn
Avec Nicole KidmanHarris DickinsonAntonio Banderas 
Durée : 1 h 54 min

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