vue panoramique du village d'Antraigues en Ardèche

L'Ardèche de Jean Ferrat

par Evelyne Dreyfus

« Pourtant que la montagne est belle » chantait-il de sa voix profonde. Autour d’Antraigues sur Volane, « son » village, ce sont plutôt des collines mais chaque pierre, chaque ruelle, chaque souffle de vent y chante Jean Ferrat, huit ans après sa mort, en 2010.

vue panoramique du village d'Antraigues en Ardèche

Vue panoramique du village d’Antraigues en Ardèche


Ce coin d’Ardèche aux abords d’Aubenas est un véritable refuge pour qui cherche un terroir et de l’authenticité. Rivières bondissantes, montagnes sauvages, collines chargées de châtaigneraies, villages de caractère, un caractère qui s’étend à la plupart des habitants du cru. Des personnages à vrai dire !

J’ai voulu voir ce qui avait tant attiré dans ce village perché d’Antraigues –sur- Volane et ses quelque 500 habitants, le poète chanteur engagé, au sourire tendre, à la voix pénétrante que fut Jean Ferrat, de son vrai nom Jean Tenenbaum.

Pour tout le monde ici il est juste « Jean ». Et tout parle de lui.

Antraigues, place de la Liberté

C’est la place centrale, celle où les bistrots témoignent d’une vie animée. Surtout à la belle saison bien sûr. En venant de Vals- les -Bains à 7 km de là, on entre dans le village par la Départementale 578, en contrebas du village, près du Pont de l’Huile. Et là vous attend un drôle d’univers assorti d’une table gastronomique, la Table d’Hôtes La Remise. Au-delà de la bonne table on y est d’abord et avant tout chez Yves Jouanny. Yves est l’un des premiers personnages hauts en couleur que recèle cette région. Poussez la porte de son café/restaurant et vous voilà dans un musée de la course automobile : combinaisons et casques de pilotes, trophées, murs couverts de coupures de presse. C’est que La Remise a une histoire.
Les parents d’Yves et de sa sœur Yvette (un sacré duo !) avaient eu l’idée dans les années 1960, d’offrir leur fameuse tarte aux pommes aux pilotes de l’écurie Alpine, lors de leur passage devant leur restaurant pendant le Rallye Monte-Carlo. La bonne nouvelle s’était vite répandue et élargie aux autres compétiteurs de la course. Depuis peu le Rallye Monte-Carlo ne passe plus par ici. Le Rallye Monte-Carlo historique qui a pris le relais. Et la tradition est maintenue : Yvette et Yves, le chef, lui-même ancien pilote automobile, fabriquent entre 600 et 700 tartes aux pommes chaque mois de février lorsque passe le rallye. Et ils continuent à les distribuer gratuitement. Cette petite auberge de village a ainsi vu passer le prince Albert de Monaco aussi bien que Jean-Louis Trintignant habitué des lieux, Pierre Brasseur, Lino Ventura et tant d’autres comme en témoignent les murs fort bavards. Y compris les journalistes sportifs et bien sûr, le copain Jean Ferrat. Un lieu mythique qui rendent le super-actif Yves Jouanny et sa sœur Yvette fiers et nostalgiques à la fois. Si vous passez dans la région, installez-vous à la table d’hôte dans la salle à manger aux allures de grange rustique, appréciez l’excellente cuisine du chef que dame Yvette va vous apporter avec un sourire complice, sachant d’avance que vos papilles vont être à la fête et… écoutez. La clientèle, à La Remise, n’est pas banale.

La partie haute du village, sur son promontoire rocheux, a le charme des vielles maisons en pierre et des toitures du Sud. Un charme aux accents de Charles Trenet : « longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons courent encore dans les rues… ». Et c’est un fait, il y a du Ferrat dans l’air. C’est là, en 1964, qu’il a écrit sa fameuse chanson « La Montagne », là qu’il a distillé dans le sang des Antraïgains les vers d’Aragon et ancré dans leur cœur son humanité. Là, dans le petit cimetière d’Antraigues qu’on visite sa tombe. En s’y installant définitivement en 1974, avec Christine Sèvres, sa première épouse et la fille de celle-ci, Véronique Etel, il est devenu l’enfant du pays.

une des rues du village d'Antraigues en Ardèche

Le village de caractère d’Ailhon

Le rendez-vous des copains

Rendez-vous est pris au restaurant de la place centrale Lo Podello qui dispose aussi de cinq chambres. Il fait face à la maison Jean Ferrat, son musée en quelque sorte, dû aux efforts de Colette Ferrat, sa veuve. Le Podello précisément est tenu actuellement par Valérie, sa nièce que Colette a élevée comme sa fille.

La maison du chanteur Jean, Ferrat en Ardèche

La Maison Jean Ferrat, une maison de village transformé en musée par sa veuve.


Dans la salle de restaurant au plafond voûté, comme dans la chaleureuse partie bar attenante, les murs portent d’artistiques photos en noir et blanc du chanteur. Viennent ici aussi bien les habitués du village que des gens de passage avec un centre d’intérêt commun, exprimé ou non : Jean Ferrat. Valérie parle de Ferrat et de Colette, sa mère, qui est toujours au village, avec amour et parcimonie. Cela se conçoit : tous ceux qui viennent veulent qu’on leur parle de l’icône. Elle avait dix ans lorsqu’elle a vécu avec le couple Colette et Jean et soupire : « c’était le temps du bonheur ». De la tombe de « Jean » toujours surchargée de messages et de fleurs, elle constate : « on se sent dépossédés ; les fans viennent en continu… mais on se dit aussi que les gens y viennent par amour ». Un amour parfois exprimé d’étonnantes façons avec ceux qui viennent chanter ses chansons sur sa tombe ou par des demandes cocasses comme le désir d’obtenir une tombe proche de la sienne…
La tombe de jean Ferrat dans le village d'Antraigues

Jean Ferrat est enterré dans le petit cimetière du village

L’irremplaçable ami

Nous voici rejoints par Bernard Ranchon, ancien maire d’Antraigues pendant vingt-quatre ans. Jean fut son ami Jean et aussi son adjoint très impliqué dans la municipalité. « C’était l’un des nôtres confie-t-il et il a incontestablement changé notre vie ». Changé leurs vies ? Tous au village en conviennent. Antraigues, par la présence de Jean Ferrat et de sa première épouse, Christine Sèvres, à partir de 1964, devenait célèbre. Avec la venue régulière des amis de Ferrat mais aussi de ceux de Jean Saussac, l’ami peintre et décorateur de cinéma, il y a eu un brassage de population inespéré qui a encouragé les habitants à se convaincre qu’ils pouvaient viser plus haut. « Pour les adolescents notamment, dont j’étais, nous avions un modèle ; cela m’a permis de devenir professeur : je ne l’aurais pas été si je n’avais pas compris que c’était finalement possible ». Et de conclure, la voix troublée : « sa mort il y a dix ans a tout changé, sa mémoire grandit. C’était un ami solide. Tout le monde garde le souvenir de sa simplicité et de sa générosité ».
Un peu plus loin dans le village, Jacques Boyer m’ouvre la porte de son pavillon calme. Jacques était chanteur lui-même. Bien avant Daniel Guichard, il avait chanté la touchante chanson écrite par Michelle Senlis sur la musique de Jean Ferrat : « Mon Vieux ». Cet intime de Ferrat, partait en tournée avec lui puis devint son régisseur général et l’administrateur de ses tournées. Il est loin d’être le seul des proches du chanteur à s’être installé ensuite à Antraigues pour y rejoindre l’ami Ferrat. Dans son salon les photos laissent filtrer le regard du copain Jean. Celui dont Jacques Boyer retient d’innombrables moments vécus en commun. Mais surtout sa générosité et sa simplicité. « Il aidait beaucoup les gens mais « en douce », dit-il ». On apprend ainsi par les uns et les autres qu’il a racheté, ici, une petite fabrique pour permettre à ses propriétaires de garder leur activité ou là les murs du café La Montagne pour que son ami Jacques puisse l’exploiter avec son épouse. D’autres comme Marcel, rencontré à La Remise se souvient en souriant des interminables parties de pétanque ou de poker disputées avec Jean Ferrat. « Un tempérament de joueur dit-il, qui n’aimait pas perdre. Mais un irremplaçable copain c’est certain ».
Antraigues, à l’évidence, est un havre. « Un peu bobo » dira Gil Doz, l’actuel maire conscient de devoir poursuivre l’histoire culturelle et artistique du village « mais toujours simple et authentique ».

A voir aux environs d’Antraigues-sur-Volane

La région mérite sa réputation : c’est un terrain géologique d’exception avec des roches basaltiques et calcaires. Le mont Gerbier des Jonc où la Loire prend sa source est à 45 mn de là. Rivières, gorges, gouffres, nombreux villages de caractère et bien sûr la réplique de la grotte préhistorique Chauvet sont proches et dignes de visites. Mais en cette fin d’année je vous propose plutôt quelques adresses gourmandes, vraiment à deux pas de « Ferrat city ». Une autre forme de poésie mais qui mérite d’être déclinée.
A Aubenas cité très animée, à 20 mn d’Antraigues :
Pierre et Françoise Chauvet exercent avec talent leur métier de chocolatiers. Surtout ils ont inventé quelques créations exclusives qui vous donnent vite l’envie de leur passer commande même à distance. Leur patronyme Chauvet fait écho à la grotte du même nom où, du coup, ils sont présents. A goûter impérativement : le fondant marron et chocolat décoré avec l’empreinte d’une main telle qu’on peut les voir dans la célèbre grotte. Retenez bien son nom : le fondanlitique. Aucun risque de le garder pendant des millénaires. Remarquables aussi les grands carrés de chocolat portant le dessin des buffles et autres aurochs que l’on voit dessinés dans la grotte par les hommes de la préhistoire.
-ressourcez-vous en vous installant confortablement dans ce salon de thé d’allure très anglaise : le Salon d’Ann-Sophie. Une ambassade de la cuisine et de la pâtisserie ardéchoises. Produits locaux, sains et faits maison élaborés par Christiane Brioude et sa fille Ann-Sophie. Vous allez tomber amoureux de sa soupe aux châtaignes aussi bien que de son gâteau de châtaignes au caramel. Candidats au régime, s’abstenir ! Le salon de thé se trouve sur la bien nommée Place des Cocons.
-passez chez Sabaton, un roi du marron glacé, à base de châtaigne d’Ardèche AOC qui fournit les meilleurs restaurateurs et pâtissiers partout en France et même à l’étranger. Une affaire familiale depuis 1907. Vous y apprendrez que, la plupart du temps, les marrons sont surgelés … avant d’être glacés. Il faut six semaines entre la récolte et le produit fini pour les fabriquer avec beaucoup de gestes faits à la main. Une fois emballés ils ne se conservent pas plus de 4 à 6 semaines en restant moelleux comme il se doit. 

Personne emballant de marrons glacés de chez Sabaton

Difficile de résister aux marrons glacés


 

Evelyne Dreyfus

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