L’Afrique du Sud côté villes. Johannesburg et Durban n’ont pas bonne réputation. Rares sont les visiteurs qui osent s’y aventurer à pied, préférant rester dans leurs hôtels avant de s’envoler vers le Cap ou de partir en safari dans le parc Kruger. Pourtant ces deux villes méritent que l’on brave les clichés car plus de 20 ans après la fin de l’apartheid, la géographie urbaine est enfin en train de changer, grâce à des initiatives privées, qui permettent à nouveau de flâner (presque) au hasard des rues.
En entrant dans Johannesburg, immense métropole, qui se déploie sur plus de 2500 km², impossible de ne pas remarquer les murs entourant les maisons, grillagés de fils barbelés et de barrières électrifiées. Dans les rues arborées des quartiers périphériques, les piétons se font rares et les voitures omniprésentes. Au milieu des années 1990, les populations aisées, principalement Afrikaners, ont délaissé le centre-ville de Joburg pour venir se réfugier dans les banlieues au nord tandis que les quartiers centraux comme Hillbrow ou Newton se sont ghettoïsés. Dans l’“East Side“, où s’alignent des hangars et des usines, de nombreux immeubles se sont transformés en squats. Avec la fin de l’apartheid, la ville avait fini par se dissoudre.
Le modèle Maboneng à Johannesburg
Après avoir été longtemps un repaire de dealers, cette zone industrielle de Newton, dont le nom signifie “lieu de lumière“ en Sesotho (l’une des 11 langues du pays), est devenu le quartier branché de Joburg. Dans ses rues aux trottoirs bien entretenus et aux murs couverts de graffitis, des terrasses de cafés et de restaurants s’étalent entre les arbres, fraichement plantés.
Des jeunes femmes noires font des selfies dans un grand éclat de rire. À quelques mètres un groupe d’écoliers présente un spectacle de danse improvisé sur le trottoir. Le temps de la ségrégation semble loin.
Au cœur de Maboneng, le complexe “Arts on Main“, une ancienne usine du début du XXe siècle entièrement reconvertie pour accueillir des galeries d’art et des bureaux, a été le point de départ du projet de Jonathan Liebmann. « On ne vous apprend pas à construire un quartier en école de commerce. J’ai du me fier à mon intuition en essayant d’équilibrer profit et impact social positif » explique le jeune promoteur qui a racheté il y a 10 ans la première série d’entrepôts du quartier puis, dans la foulée, a créé Propertuity, une société immobilière dont l’objectif est de restaurer de vieux immeubles et de les transformer en lieux de vie branchés, modèles de mixité multiculturelle et générationnelle. Tous les dimanches, “Arts on Main“ accueille un marché couvert, rendez-vous incontournable de Maboneng, où l’on trouve des produits gastronomiques, des vêtements, des objets d’artisanat locaux parfois étonnants, comme des coussins fabriqués à partir du feutre des tenues des prisonniers.
Difficile de ne pas penser à Mandela, enfermé 27 ans dans les geôles sud-africaines… Le projet de Maboneng ne serait sans doute pas pour lui déplaire. Avec le succès du quartier, le prix de l’immobilier a grimpé mais l’esprit “unfinished“, caractéristique de Joburg, est resté. À quelques “blocs“ de distance, l’atmosphère change radicalement. Entre deux immeubles abandonnés, une galerie d’art, Agog Gallery, avec bar et rooftop attenants, vient d’ouvrir ses portes. En ce moment, c’est l’un des lieux les plus tendances du quartier mais demain, la galerie sera peut-être transformée en loft. Maboneng est en mouvement constant comme Johannesburg.
Îlots au cœur de la jungle urbaine
À Braamfontein, autour de la gare, les bâtiments massifs construits dans les années 60-70 reflètent le pouvoir des dirigeants Afrikaners de l’époque. Des gratte-ciels en béton dominent ce quartier aux allures de Gotham City. Abandonné par les Blancs après la fin de l’apartheid, Braamfontein renait doucement grâce à la réhabilitation de certains pâtés de maisons. C’est le cas de Juta Street, où se tient tous les samedi le Neighbourgoods Market, un marché de fripes et de food où l’on vient bruncher sur le toit-terrasse en plein soleil.
Bondée de hipsters tatoués et de “Black Diamonds“, les millenials noirs qui ont fait fortune dans le secteur des applications mobiles, ce “rooftop“ est l’un des plus courus de Johannesburg. De l’autre côté de la rue, le Kitcheners, belle bâtisse coloniale avec ses coursives et ses rambardes en fer forgé, est réputé pour accueillir les meilleurs concerts de la ville. Mais dès que l’on s’éloigne, la misère reprend ses droits avec son lot d’insécurité. La voiture reste, malheureusement, indispensable pour se déplacer dans la ville. En se dirigeant vers le nord, le paysage devient bucolique. Sur une colline pittoresque, se dresse Melville, un bloc de maisons et de coquets petits immeubles, où s’égrènent bars, restaurants, librairies, studios d’enregistrement… L’ambiance y est décontractée et il fait bon déambuler entre les terrasses en sirotant une bière et en écoutant un groupes de musiciens live, au coucher du soleil.
Durban, l’amorce d’une renaissance
Ce concept de micro-quartiers a aussi fait son chemin à Durban. Ce grand port, réchauffé par les courants de l’océan indien, avait plongé dans une longue période de déclin. La tenue de la coupe du monde de football en 2010 a été le déclencheur d’un mouvement de régénérescence urbaine. À quelques pas du Moses Mabhida stadium, stade de foot mythique, Station Drive était une zone industrielle plutôt mal famée. Proche de la mer et facilement accessible, elle ne manquait pourtant pas de potentiel. Un promoteur local a eu l’idée de racheter et réhabiliter une ancienne manufacture d’allumettes, encourageant des cabinets d’architectes et de designers qui se sont installés dans des bâtiments à côté. Station Drive a ainsi pris de la valeur attirant des jeunes entrepreneurs. Mais on ne vient pas par hasard dans ce faubourg de Durban, qui tient sur deux rues. Il faut également connaître pour venir se balader dans Rivertown, quartier du centre-ville peu avenant, coincé ente une voie rapide et l’océan. Depuis que Propertuity y a racheté des immeubles, nettoyant et sécurisant les rues, le coin prend de la valeur comme à Maboneng.
Des hispters à la fibre sociale et gourmande
La barbe taillée au cordeau, la raie sur le côté et la chemise ultra boutonnée, les startuppers de Station Drive ressemblent à tous les hipsters de la planète. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Leurs projets sont indissociables du développement des townships alentours. L’African Art Center, l’une des ONG les plus influentes de Durban, a ouvert une antenne dans Station Drive. On y découvre le travail de talentueux artistes et artisans issus des communautés noires les plus défavorisées. Des bijoux, réalisés à partir de fils électriques recyclés, auraient leur place dans les boutiques de créateurs les plus tendances de Paris ou de New-York. Bâtiment emblématique de Station Drive, The Foundry abrite des espaces de coworking, un atelier de recyclage mais aussi une brasserie artisanale, S43, dont le bar est l’une des nouvelles adresses en vue de Durban. Ses grandes banquettes et ses alcôves entourées de verdure attirent tous les soirs une foule bigarrée. Au dessus se trouve une distillerie, Distillery 031, créée par Andrew Rall, un Durbannais passionné de spiritueux. Ce grand gaillard débonnaire avait pour ambition de sortir la consommation d’alcool des “malls“, institution sud-africaine très impersonnelle. C’est chose faite. Sa distillerie, qui produit du gin, de la vodka, de l’absinthe… en y ajoutant une touche “zoulou“ grâce à des plantes locales, possède aussi un restaurant de burgers. Le chef propose des accords mets et spiritueux franchement insolites pour un pays qui a bâti sa réputation sur la production de vins. En continuant la balade dans Station Drive, on découvre Humble roasting, une brûlerie créée par une jeune Ecossaise, qui a quitté son Édimbourg natal pour s’installer à Durban. Son café, 100% sud-africain, surprend par ses saveurs de fruits, de fleurs… Une partie de ses recettes est reversée à une ONG locale qui s’occupe d’enfants. En face de la brûlerie, difficile de résister à Momenti, un glacier artisanal, fondé par un jeune Sud-Africain d’origine indienne qui s’est pris de passion pour les sorbets lors d’un échange universitaire en Italie ! Après ce tour gourmand, l’envie est grande de s’affaler sur la plage.
La chaleur humide qui imprègne l’atmosphère rappelle que la mer est toute proche. Bientôt, un sentier devrait permettre de rejoindre la plage en partant de Station Drive. Pour l’heure, il faut quelques minutes de voiture pour rejoindre le Golden Mile, la célèbre promenade balnéaire de 5 km de long, bordée d’hôtels et de casinos. Au large, une poignée de surfers affrontent les rouleaux puissants de l’océan indien. Des mouettes tournoient dans un ciel plombé. La ville semble loin. Pourtant, elle est là, vibrante, en pleine mutation.
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Carnet de voyage
Utile
Office du tourisme d’Afrique du Sud
Y aller
Avec Comptoir des voyages à partir de 1150 € par personne pour 10 jours/7 nuits.
Dormir
– Hallmark House, Johannesburg. Tout nouvel hôtel à deux pas de Maboneng. Chambres spacieuses et épurées, rehaussées de jolis wax. Mention spéciale pour les terrasses avec balançoires. À partir de 60 € la nuit (petit déjeuner compris).
The Oyster Box, Durban. Un palace colonial sur l’océan indien. Beaucoup de charme, l’impression d’être transporté dans un autre monde. À faire : siroter du champagne et déguster des huitres fraichement ramassées devant l’hôtel, au petit-déjeuner !
À partir de 370 € la nui.t
Bonnes adresses
The Marble, Johannesburg. Nouvelle table avec une superbe terrasse panoramique, décoration chic et concept de cuisine ouverte à la braise. Privilégiez la viande, fondante.
Randlords, Johannesburg. Un rooftop incroyable au 22e étage d’une tour avec vue à 360° sur Joburg : du FNB stadium de Soweto à la skyline de Sandton…
Distillery 031, Durban. C’est l’un des l’un des lieux les plus originaux de la ville. Au cœur d’une usine désaffectée en face de la gare de Station Drive, cette distillerie artisanale propose une étonnante variété d’alcools : du gin, à la vodka, en passant par la cachaça, l’absinthe ou encore le brandy !
Ikes Bookshop, Durban. Cette librairie, qui fait aussi disquaire de vinyls, est une institution. Située dans une maison coloniale, Ikes Bookshop a été créée par le premier libraire noir d’Afrique du Sud. Sur les tables et sur les murs, des antiquités, des photos, des masques africains, donnent un cachet fou au lieu qui accueille des signatures, des concerts, des soirées.
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Sarah Chevalley
Lire aussi : Les filles du bord de mer
1 commentaire
[…] la vie spartiate des seigneurs du lieu. Les murs des cachots et geôles sont couverts de graffitis. Les prisonniers y ont laissé leur signature, des messages de désespoir, les témoignages de leur […]