Le point noir, une nouvelle de Dominique Mallié
Tout avait bien commencé pourtant avec François croisé sur un site de rencontre. On avait échangé nos mails, on s’était longuement écrit pour se raconter nos vies, on avait échangé nos téléphones, notre Facebook, notre Instagram, notre pseudo twitter, nos photos. Bref, on avait échangé tout ce qu’il était possible d’échanger à notre époque et à notre âge, surtout à notre âge, compte-tenu de nos connaissances dans ces nouveaux médias. « Nouveaux » pour nous tout de même. On était devenus échangistes en somme.
On s’est trouvé plein de points communs au vu de nos échanges, les fantasmes et le rêve ont fait le reste. C’était beau, plein de promesses. La distance géographique, on avait décidé de ne pas en faire un problème : après tout Avignon-Paris, c’était deux heures et quelques en train, le « et quelques » ne nous faisait pas peur, on avait d’ailleurs même pas vu que ça faisait plutôt trois heures ce « et quelques » : on trouverait le moyen de se voir fréquemment.
On avait ignoré nos boulots respectifs, lui, pédopsychiatre, moi, prof dans un lycée d’Avignon ; on verrait, on se disait et l’enthousiasme pas feint, le désir de se voir peu à peu se faisait plus sévère, on s’en faisait une joie. On avait passé des heures au téléphone à se raconter nos journées, il en avait marre de son boulot, des gosses, des parents, je lui racontais mes cours, mes lectures, on se disait à demain par pure formalité : le lien ne se coupait jamais vraiment à coups de textos, de photos, c’était merveilleux. Notre passion commune pour l’art nous soudait un peu plus, nous ventousait en quelque sorte. J’allais le coeur léger au travail, tous les problèmes quotidiens me semblaient complètement saugrenus au vu de mon grand amour qui existait là quelque part, à Neuilly.
Il nous fallait nous rencontrer
Tout était programmé : il viendrait me chercher Gare de Lyon, on irait boire un verre dans la foulée, au « Train bleu », on admirerait les plafonds peints entre nos discussions et le plaisir d’être proches enfin, puis on irait chez lui, on ferait l’amour, puis on déjeunerait puis on referait l’amour et on dormirait comme deux bébés, tendrement enlacés, puis le lendemain on irait se faire une expo ou deux et puis après on avait calé un peu, sur le reste du programme. On trouvait bien aussi de laisser un peu les choses se faire. On avait donc décidé le » lâcher prise » pour la suite…
Jusqu’à 12h40 tout s’est passé exactement comme prévu. Je suis arrivée Gare de Lyon à l’heure, un peu comme si la SNCF avait aussi décidé de remplir aussi le » contrat ». Je m’étais mise sur mon trente et un : coiffeur, manucure… j’avais soigné les dessous aussi, bref, que de la dentelle et de Calais, tout cela m’avait coûté un oeil. Je n’avais qu’à regarder autour de moi dans le train, les hommes me lorgnaient dessus : la preuve que c’était réussi.
Il était là sur le quai et quand je l’ai vu, j’ai pensé à toutes les fois où j’avais lu » La première fois que je l’ai vu, je suis tombée amoureuse« , j’y ai pensé parce que je me suis dit que c’était exactement l’inverse qui était en train se passer en moi : je me désamourais littéralement.
Celui que je voyais là n’était pas celui que j’avais en tête et j’ai alors vêcu comme un court circuit sentimental. Un peu comme s’il fallait débobiner un film et tout reprendre.
J’étais tout sauf bien. Lui, il souriait, je crois même qu’il m’a embrassée sur la bouche, comme ça vite fait, sans la langue.
On a essayé de discuter, mais comme il répétait en boucle que j’avais l’air déçue et que décemment je ne pouvais pas lui dire la vérité (car je l’étais au delà de ce qu’il pouvait imaginer et que je m’en voulais de l’être, de ne pas être raccord avec mes rêves), la discussion a tourné vite court dans le domaine des impressions et des ressentis.
J’ai eu froid d’un coup et une grosse envie de pleurer.
François, alors, est devenu pédiatre, il m’a prise dans ses bras, m’a tapé dans le dos un peu comme s’il voulait me faire faire un rôt, et m’a dit que tout ça n’était pas si grave. Je sentais bien qu’il mentait, qu’il était désolé d’un coup d’avoir mis son vieux blouson et un pantalon avec une tâche énorme, qu’il était désolé de ne pas être Paul Newman ou Alain Delon ou un autre, désolé d’être seulement lui et c’était pitoyable, cette image de deux cinquantenaires bien sonnés, au milieu du » Train bleu », en train de se faire une sorte d’accolade comme des politiques. C’est ce que j’ai pensé : pathétique.
Il m’a proposé d’aller chez lui, à Neuilly. Peut être, le lieu, me donnerait envie de mieux le connaitre, car c’est vrai que d’un coup, je n’avais qu’une envie : repartir dans l’autre sens mais pour cela il fallait changer mon billet, annoncer la couleur à François et je ne me suis pas sentie capable d’en ajouter une couche.
On s’est retrouvé dans sa voiture, il s’est excusé de ne pas l’avoir nettoyée un peu, a poussé des papiers sur le siège, m’a libéré la place du mort et c’est vrai que quelque part, ça me convenait cette place.
Chez lui c’était beau, ça m’a rendue plus triste encore. Comme il est fin cuisinier, il s’est mis en tête de me faire un bon petit repas, ça me donnerait le temps de réfléchir et de voir ce que j’allais faire. Il m’a offert un tableau aussi qu’il avait acheté en pensant à moi, mon premier tableau d’un artiste connu, pas un grand artiste, mais tout de même. Là je me suis mise à pleurer.
On est allés à la cuisine, moi avec mes Kleenex, lui avec son chagrin qu’il ravalait tant bien que mal et il a commencé à s’affairer aux casseroles et à me demander si j’aimais le poisson, les coquillages, bref, tout ce qui vit dans la mer. Oui, j’ai répondu.
J’aurais pas du, à postériori, c’est là une grosse erreur que j’ai commise. François a ouvert un couvercle, plongé une immense fourchette dans son fait tout et a sorti un truc immonde qui a séché mes larmes d’un coup, un truc c’est à dire un poulpe qui avait l’air vivant et qui pendouillait de toutes ses tentacules comme s’il voulait rejoindre le fond de la casserole d’où on venait de l’extirper. On pourrait penser que je suis difficile pour manger, c’est vrai d’ailleurs, mais là j’ai senti une grosse envie de vomir monter en moi et ça en effet, on l’avait pas prévu dans notre programme du week-end.
Alors, il m’a expliqué qu’il fallait couper les tentacules, que c’était très bon, tous ces petits bouts avec leurs ventouses qui allaient s’accrocher dans mon oesophage. J’ai pensé aux escargots que j’avalais tout rond quand j’était enfant, j’ai pensé aux huîtres aussi qui suivaient le même chemin. J’ai pensé à la fois où j’avais mis l’escargot dans ma poche et avec l’ail et le beurre ça avait fait une grosse tache de gras. J’ai pensé à ma mère qui avait soupiré que décidément, j’étais un peu particulière dans la famille. C’est vrai que dans ma famille, les escargots sont cultes. Mon père avait même entrepris à un moment un élevage dans une caisse en bois, de gros escargots, des gris qui bavaient ni peu ni assez. Parfois je les regardais là dans leur bave, leurs merdes qu’ils laissaient sur le bois de la caisse en plus de toutes leurs déjections. C’était vert et translucide. J’avais des hauts le coeur, j’avais envie de tout basculer et qu’ils foutent le camp tous, dans l’herbe ou ailleurs …
C’est tout ça que j’avais en tête peut être parce que François est psychiatre : ça faisait remonter en moi mon histoire de vie, ce poulpe et c’était pas joli, joli, très, très loin de la délicieuse madeleine de Proust. Mes larmes séchaient tandis que je stagnais dans ma bave d’escargots. François a refermé le couvercle. Il a remis à plus tard sa cuisine en soupirant. J’étais perdue et lui aussi.
Le couvercle refermé sur l’avenir culinaire du poulpe, venait également d’engloutir notre grand amour.
On a regardé la télé, une émission de télé-réalite, il me semble, de toutes façons il y avait belle lurette que j’avais décroché de la réalité. Il m’a montré ma chambre et on s’est couchés. J’ai même mis une commode contre la porte, ça m’a pris du temps, elle était lourde.
Le lendemain, j’ai bu de la tisane, il avait pas de déca et pourtant je lui avais dit dans nos échanges que je buvais que ça…
Dominique Mallié
Voilà, j’arrête ma collaboration aux Boomeuses, merci de m’avoir lue pendant ces deux années … et une cinquantaine épanouie à toutes !
Retrouvez toutes les chroniques de Dominique Mallié sur les Boomeuses ici.
2 commentaires
Bonjour Dominique , zut je vous perds une seconde fois …..Après la fermeture du blog, je vous avais retrouvé avec plaisir ici .Même si je ne commente pas souvent, je vous suis et j’aime beaucoup vos articles peut être aussi parce que c’est un peu mon ressenti . Le point noir me fait penser à une amie (l’un est médecin l’autre architecte et depuis bientôt 2 ans leurs vies sont rythmées par les voyages SNCF entre le Sud et le grand Est) Leur histoire n’a pas connu de point noir et est fort jolie.
Si par hasard , l’envie de reprendre la plume vous anime faites moi signe
Bonne rentrée et merci
Merci Sylvie pour ce commentaire très gentil … oui, heureusement il arrive que les choses se passent autrement mais j’ai choisi d’installer mes personnages dans ce genre de situation qui correspond à de nombreux vêcus entendus çà et là .
Bien sûr que je ne lâche pas l’écriture , j’ai un petit projet en cours dont je parlerai en temps voulu et les Boomeuses seront informées, cela va de soi..
Bien amicalement