C’est dans un bar de Saint-Lô que je rencontre Frank. Il est originaire de cette ville de la Manche. Aujourd’hui il vit sur la côte, au bord de la mer sûrement parce qu’il aime l’eau. Pour se présenter Frank cite un extrait de chanson de Renaud Pourquoi D’abord « J’aime la vie et les coquillettes, le musette et la bière. Puis fumer une bonne vieille goldo en écoutant chanter Bruant.. ». « C’est un façon de regarder la vie comme une forme de bon-vivre. Mes plaisirs sont des choses simples » dit Franck.
On ne pense pas, au premier abord, en voyant ce quinquagénaire, cool, tranquille et bien ancré dans sa vie, que Frank a une histoire d’enfant difficile et que cette histoire là en a fait un combattant de la vie qui gagne au mental, un compétiteur et surtout un grand optimiste.
Comment avez-vous vécu le passage de la cinquantaine ?
Franck : La marque de passage ne m’a pas fait grand chose, 49, 50 ou 51 pour moi c’est pareil. Par contre des petits problèmes de santé ont rendu cette période compliquée, je me suis blessé à 49 ans – Frank est un grand sportif, il a beaucoup aimé la compétition, le challenge, le dépassement de soi-. Alors, quand le corps ne répond plus comme avant, le doute s’installe, pourquoi suis-je fatigué, pourquoi ai-je moins d’énergie ? L’âge n’a pas été difficile à accepter mais ces événements restent associés à ce passage où il m’a fallu accepter que je ne pourrai plus faire ce que je veux avec mon corps. Au même moment je suis devenu grand père et je ne m’en suis toujours pas remis (rires), c’est un cadeau de la vie.
Ça a remué mille choses, pas sur la question de la grand-paternité mais plutôt sur mon enfance, une plongée délicate qui m’a amené à regarder d’où je venais.
J’ai vraiment l’impression que mon petit fils m’a ramené à mes propres origines, c’est un marqueur très fort de ma vie. J’étais déjà sur ce chemin mais cette naissance a été un accélérateur pour régler des comptes avec mon histoire. Il me regarde avec tellement d’amour que j’ai pu accepter des aspects compliqués de mon enfance avec confiance, j’ai pu voir le petit garçon que j’ai été, comme si j’avais eu d’autres lunettes. Là je me suis détaché de la violence, de la colère, de la tristesse que j’avais gardé depuis longtemps. En fait devenir grand père, c’est un peu comme une re-naissance et pour moi, c’est associé à l’arrivée de la cinquantaine.
Qu’est ce qui a changé dans votre vie, qu’est ce qui s’est modifié ?
Ce qui a changé, je l’ai déjà dit, c’est une perte d’aisance physique, j’ai un parcours de sportif et pour les personnes de ma génération, le sport se pratiquait dans une forme de violence, sans précaution pour protéger le corps. A 50 ans, je paye la facture. Aujourd’hui si je fais l’inventaire (sourires) j’ai mal à un genou, à une cheville, à un doigt, parfois à une hanche. Il faut s’en accommoder et ce n’est pas simple. Et puis il faut accepter de ne plus être aussi performant, l’aisance, la souplesse, la force changent et là j’ai des marqueurs très précis, pour moi cela a été difficile à accepter.
Mais comme j’ai toujours cherché à sortir grandi d’une situation, et bien je me suis certainement ouvert d’avantage aux autres. La vie de sportif est très égocentrée, on ne sort pas, on ne boit pas (enfin pas trop), et les autres doivent s’adapter. Quand on sort de cela on accède à une forme de liberté. Et le statut de grand père, l’expression « être grand-père » avec la co-notation très joyeuse que j’y associe du fait de la relation avec mon petit fils m‘aide à accepter ce statut également physiquement. Et puis j’ai transmis à mes enfants le bonheur de la pratique sportive, j’ai passé le relais, il y a un bout de moi qui continue à vivre à travers eux, c’est presque une deuxième naissance. Je vois cette baisse de forme physique comme une chance car là j’ai pu décrocher de la compétition et mieux accompagner celle de mes enfants. Il y a une forme d’empreinte, de transmission qui rend le passage très joyeux. C’est comme un petit caillou qu’on jette dans la mare, on produit les premières ondes et après les enfants font de plus grands cercles. Moi je ne me sens pas mis au rebut, bien au contraire.
Et dans la vie sociale, qu’est ce que la cinquantaine vient changer ?
Je commence à prendre conscience du temps qui reste. J’ai cru longtemps que j’étais immortel (rires), que j’aurais plusieurs vies… plus maintenant (rires encore). Dans ma génération de copains, un a fait un AVC, d’autres sont rattrapés par des problèmes de santé importants, problème cardiaque, problème endocrinien, j’ai mis du temps à comprendre que les raisons étaient liées à la cinquantaine. Cette réalité du temps me rend plus exigeant dans les relations avec les amis, j’ai fait du «tri», je n’accepte plus les copains qui viennent uniquement pour parler de leurs problèmes, alors la porte reste ouverte pour le moins bon mais aussi pour le très bon. Avec ma compagne, nous nous protégeons beaucoup plus.
Et justement comment vivez-vous ce passage dans la vie de couple ?
C’est plus doux mais c’est moins fun (rires), il y a là aussi une forme de tranquillité, nous savons mieux nous écouter mais la vie de couple reste un grand mystère. Et du coup, pour moi c’est plus compliqué d’en parler, je n’ai pas l’impression de savoir grand-chose, je n’ai pas percé le mystère de la femme. Nous sommes très différents et nous le restons même avec l’âge.
Je reste persuadé qu’il y a une forme d’immaturité ou de folie qui reste chez l’homme, à la laquelle les femmes peuvent avoir du mal à accéder et peuvent en ressentir une forme de jalousie.
Je ne me sens donc pas très autorisé à parler de la vie de couple car je ne dois pas être fort sur cette question. J’ai l’impression d’avoir fait mille kilomètres vers elle et j’ai l’impression qu’il en manque toujours et il y a des raisons que je ne comprends pas bien, ça montre mon incapacité à aller jusqu’au bout, à toucher ma compagne jusqu’au bout. Ca reste une forme de déception.
Et avec les proches, la famille ?
Les parents qui vieillissent restent des marqueurs, des alarmes qui s’allument pour ne pas faire pareil. En les regardant, je me projette avec un corps plus vieux, un cerveau plus vieux, peut être une usure de la vie, un jour je serai vieux, je l’accepte, je l’anticipe et je me prépare. J’essaie de le vivre comme un service qu’ils me font pour éviter de faire les mêmes erreurs.
La cinquantaine c’est l’âge où on regarde les autres parce qu’on est au milieu, on regarde ses enfants, on regarde ses parents, c’est le temps d’une forme de contemplation, le regard change, il a beaucoup moins d’enjeux.
Quand on est jeune il faut avoir un regard ciblé, on a des objectifs donc on regarde dans cet objectif. Quand on les a réalisés ou atteints, on peut se permettre d’avoir un regard plus large, on est traversé par plein de choses qu’on ne voyait pas avant. Une phrase que j’utilise souvent en Aïkido c’est « Voir sans regarder ».
C’est une période de transfert que je vis avec tranquillité et douceur, ce n’est pas difficile de regarder les autres. Ca compense la perte d’activité, la performance, et là je vois des choses que je ne voyais pas. Je vois mieux ce qui arrive ou alors je prends le temps de voir les situations, je suis moins submergé.
Propos recueilli par Marie Masson
Marie a 47 ans. Elle est thérapeute familiale et conjugale.
« L’approche de la cinquantaine m’interroge de façon existentielle et pour avancer dans mon questionnement j’ai décidé d’aller à la rencontre de personnes qui vivent avec bonheur ou difficulté cette étape de vie. Ajouté à ma passion pour les histoires de vie, cela produit des moments de partage remplis d’humanité que j’ai envie de partager ».