Laurence Rossignol

Laurence Rossignol : Le combat féministe à bride abattue

par Anne Bourgeois

Infatigable combattante des droits des femmes, Laurence Rossignol, ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, aujourd’hui sénatrice du Val-de-Marne n’a pas relégué aux oubliettes le mordant de ses jeunes années. Moteur de l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, elle croise de nouveau le fer législatif pour réhabiliter les femmes condamnées avant la loi Veil. Amazone toujours en selle, elle ne cesse de dénoncer la violence systémique qui s’abat sur les femmes et fracasse les silences, en assénant des coups de boutoir dans les bastions du patriarcat.

Le droit à l’avortement est désormais inscrit dans la Constitution, une victoire à laquelle vous avez largement contribué. Quels sont désormais vos combats prioritaires pour les droits des femmes ?

Laurence Rossignol : l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution revêt une importance capitale, sur les plans historique et symbolique. Mais ce combat s’inscrit dans un parcours bien plus vaste. J’ai toujours pensé que la prochaine étape majeure serait la réhabilitation des femmes qui ont été poursuivies, condamnées et même exécutées pour avoir pratiqué ou subi un avortement avant la loi Veil. Je suis donc à l’origine d’une proposition de loi visant à réparer ces pages sombres de notre histoire. Ce projet va au-delà des seules indemnisations. Cela consiste à reconnaître officiellement les souffrances subies par 11 660 personnes condamnées entre 1870 et 1975, parmi lesquelles 60 % de femmes et 40 % de soignants ou aidants. Nous demandons la création d’une commissionnationale indépendante afin de recueillir les témoignages des victimes. C’est un devoir de mémoire. Cette proposition de loi, qui sera examinée le 20 mars, rappelle que les droits acquis sont le fruit de luttes et qu’ils doivent être protégés.

laurence Rossignol

Sur le plan international, les défis sont immenses. Les reculs montrent que rien n’est jamais acquis. La constitutionnalisation de l’avortement en France a été applaudie par les militantes pro-choix du monde entier. Nous continuerons de nous battre pour ces centaines de millions de femmes privées du droit à l’avortement et poursuivrons notre engagement aux côtés de celles et ceux qui, face à Trump, Orbán, Milei, Poutine et Meloni, défendent leurs convictions contre les assauts du conservatisme. Sans oublier, bien sûr, celles qui luttent contre les mollahs et les dictatures théocratiques. La liberté de disposer de son corps, de choisir sa maternité plutôt que de la subir demeure la pierre angulaire de l’émancipation. Lors de mes conférences aux États-Unis, j’ai pu mesurer à quel point nos avancées servaient de modèles. La France doit continuer de jouer ce rôle de phare pour les droits des femmes, en se réappropriant son histoire, celle du pays des Lumières et des droits humains.

 Le silence n’est pas seulement générationnel, il est aussi social

Malgré #MeToo, vous avez mis en garde contre l’augmentation du nombre de féminicides et de violences Quels dispositifs concrets garantiront enfin une réelle protection des femmes ?

Malheureusement, bien que le mouvement #MeToo ait attiré l’attention sur les violences envers les femmes, les statistiques restent alarmantes. Pour passer des paroles aux actes, il est impératif de renforcer les moyens alloués aux associations de terrain qui accompagnent les victimes. Ces structures se trouvent au premier rang de la lutte, mais elles manquent souvent de moyens. Ensuite, il est crucial de revoir la formation des forces de l’ordre et des magistrats. En effet, un grand nombre d’affaires de violence domestique ou sexuelle font l’objet d’un classement sans suites. Cela doit changer, notamment par la mise en place de brigades spécialisées et d’outils comme le bracelet anti-rapprochement. 

Manifestation pour le droit à l’avortement et à la contraception dans les rues de Grenoble en 1973

L’affaire Gisèle Pelicot illustre à quel point la violence envers les femmes est systémique et banalisée. Pour briser ces mécanismes, on doit s’attaquer à la racine : la culture patriarcale qui les alimente. J’ai toujours considéré que l’industrie pornographique et le système prostitutionnel constituent les piliers de cette domination. Tant que la société acceptera que des corps soient marchandisés, elle perpétuera ces violences. Les sanctions doivent être exemplaires. Mais au-delà des lois, nous devons aussi éduquer les jeunes sur ces sujets pour changer les mentalités sur le long terme. Nous devons enseigner dès le plus jeune âge la notion de consentement et déconstruire les stéréotypes sexistes. 

Les femmes quinquas et plus dénoncent moins souvent les violences sexuelles. Comment briser ce silence ?

Laurence Rossignol : Ces femmes ont longtemps évolué dans une société où la parole sur les violences sexuelles était taboue, minimisée, voire niée. Beaucoup ont intégré cette réalité comme une fatalité, ce qui explique qu’elles signalent moins fréquemment les violences qu’elles subissent. Mais cette moindre déclaration ne signifie pas une moindre exposition. Ce qui saute aux yeux, c’est que, au-delà des tabous générationnels, un véritable silence s’est installé sur le viol conjugal, notamment chez les femmes de plus de 50 ans.

Pendant des décennies, l’idée même de viol conjugal était inexistante dans le droit. Il a fallu attendre 1990 pour que la justice commence à le reconnaître, et encore aujourd’hui, sa dénonciation reste rare. Pourquoi ? Parce qu’il repose sur une culture du devoir conjugal, un principe implicite selon lequel, dans le cadre du mariage, la sexualité des femmes appartient à leur conjoint. Cette croyance a servi de justification à des décennies de violences invisibilisées.

La pire violence que subissent les femmes en politique n’est pas une violence frontale, agressive. C’est l’indifférence et le sexisme d’atmosphère.

Ce silence n’est pas seulement générationnel, il est aussi social. Beaucoup de femmes ont grandi avec l’idée qu’un mari avait des « droits » sur elles. Certaines finissent par céder, par « faire semblant », par adopter des stratégies d’évitement pour écourter un acte non désiré. Or, ce consentement arraché sous pression n’est pas un véritable consentement. C’est une forme de domination que nous devons déconstruire. Il faut donc briser ces tabous en libérant la parole, en formant les professionnels du droit et en renforçant les dispositifs de soutien spécifiques aux femmes de cette génération. Faire évoluer le droit est aussi fondamental. L’arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme représente une avancée majeure, car il remet en question la notion de devoir conjugal en affirmant que refuser une relation sexuelle ne constitue pas une faute dans le mariage.

Le 4 mars 2024, les parlementaires, députés et sénateurs, se sont réunis en
Congrès Parlementaire pour la révision de la Constitution qui y intègre le droit à
l’IVG, l’Interruption Volontaire de Grossesse ou avortement © OLIVIER
CORSAN/MAXPPP

Comment votre expérience en tant que femme politique influence-t-elle votre combat dans un milieu masculin ?

J’ai appris à naviguer dans un monde souvent hostile aux femmes et à transformer les difficultés en opportunités. Être une femme politique dans un univers masculinisé signifie aussi porter un regard critique sur les codes qui régissent encore trop fréquemment notre société. La pire violence que subissent les femmes en politique n’est pas une violence frontale, agressive. J’ai souvent utilisé l’humour comme arme pour m’imposer dans les débats politiques. Un jour, dans une réunion où l’on m’ignorait, j’ai lancé : « Messieurs, si mes paroles ne vous intéressent pas, peut-être que ma voix forte vous réveillera ! » Avec le temps, j’ai appris à me faire respecter. J’ai compris qu’il fallait être directe, tranchante, parfois blessante. J’ai acquis de la répartie et, à force, certains évitent de s’y frotter. Mais désormais, je ne me contente plus de me défendre : je protège aussi les autres. Je les soutiens, je leur donne du courage. Mais, c’est une lutte exigeante, épuisante parfois. J’ai mené des campagnes, j’ai affronté les tempêtes, j’ai appris à tenir la ligne coûte que coûte. 

 Les jeunes militantes apportent une radicalité nécessaire, tandis que les femmes expérimentées possèdent la mémoire des luttes passées

Ce qui m’a toujours portée, ce sont deux choses. D’abord, ces femmes de tous âges qui m’arrêtent dans la rue pour me remercier. Elles me disent leur admiration, leur soutien. C’est un moteur puissant. Et puis, il y a l’électorat. Contrairement aux partis politiques, profondément misogynes, je n’ai jamais ressenti de rejet de leur part parce que j’étais une femme. Au contraire ! C’est un fait essentiel : la misogynie n’est pas chez les électeurs. Elle gangrène les structures politiques, les cénacles du pouvoir, les cercles d’influence. Mais dans les urnes, ce sont les convictions et l’engagement qui comptent. Et cela, c’est une immense source d’espoir.

Comment le féminisme peut-il rassembler jeunes militantes et femmes expérimentées autour de combats communs

Un féminisme efficace doit être inclusif et reconnaître la diversité des expériences. Les jeunes militantes apportent une radicalité et une énergie nécessaires, tandis que les femmes expérimentées possèdent la mémoire des luttes passées. Pour bâtir des ponts, nous devons favoriser le dialogue et créer des espaces d’écoute mutuelle. L’exemple de Gisèle Halimi reste une grande source d’inspiration. Elle a su allier les forces de différentes générations pour accomplir des avancées historiques. 

Aujourd’hui, c’est à notre tour de poursuivre cette tradition en nous adaptant aux réalités du moment. Les femmes de ma génération doivent prendre la place qui leur revient, elles doivent être reconnues comme des actrices majeures du féminisme et de la transformation sociale. Leur expérience est une force. Je suis attachée à l’idée de transmission intergénérationnelle. J’ai beaucoup appris dans ma propre vie de femmes de ma famille, qui formaient un gynécée, une lignée matrilinéaire. C’est par des échanges simples, mais riches, dans des lieux aussi simples que la cuisine, que j’ai pu comprendre leurs expériences. 

Anne Bourgeois

Photos de Une@ CL_SENAT

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