Vacances romaines, une nouvelle de Dominique Mallié

par Dominique Mallié

Vacances romaines, une nouvelle de Dominique Mallié à déguster bien au frais. 

vacances romaines-les boomeuses

Rome : c’est l’été… La ville s’épuise de soleil et de chaleur.  Allongée pour la sieste dans cet appartement qu’on lui a loué près d’un des hôpitaux, Louise écoute les cris et les rires des ambulanciers assis, les pieds dans des bassines d’eau froide, finissant toujours par s’inonder de cette eau fraiche, se poursuivant au travers des rues, hurlant des insanités, l’empêchant de dormir mais peu lui importe. Elle tend l’oreille, elle aime ces bruits d’hommes qui jouent à faire les enfants…

Tout à l’heure elle sortira. Elle a pris l’habitude pour ses vacances romaines,  de se perdre le soir dans les ruelles, de déambuler sur la placette quand la lumière arase les toitures. Il y a alors dans l’air comme une mélancolie, quelque chose qui lui convient, de doux et d’un peu désuet, quelque chose qui l’envahit et ce pourrait bien être le bonheur de vivre. C’est ce qu’elle se dit. C’est assez facile aussi, elle pense, le bonheur, finalement.

Ce séjour à Rome, pour améliorer son niveau en italien, elle l’a décidé comme on claque des doigts, un soir dans son appartement parisien, le silence s’était fait trop dense, l’absence de projets trop lourde. Elle a cherché sur Internet : un séjour linguistique d’un mois, des cours le matin, un hébergement en colocation. Une majorité d’étudiantes dans ces cours, de très jeunes filles. L’école lui  a donné un logement pour elle seule au vu de la différence d’âge avec les autres étudiantes,  un appartement via Taramelli. C’est là qu’elle est, pour l’heure, écoutant ces bruits d’hommes sous ses fenêtres.

Bonheur et vacances romaines

Elle a passé les tests le premier jour, soigneusement préparé son texte de présentation en italien et s’est retrouvée dans le groupe des « moyens » … Réel plaisir des cahiers à remplir, de la vie étudiante, comme un allègement. Louise s’est dit que ce séjour à Rome était ce qu’il lui fallait. Loin de tout, de son histoire branlante avec Gérard, de cette violence de leurs rapports. Le moyen peut être d’en finir avec cet amour, de tourner une fois pour toutes cette lourde page de cinq années, de s’ouvrir à d’autres histoires, d’autres hommes ou… rien.

Elle marche via Borgognona. Ce soir ces pas iront Piazza di Spagna : S’asseoir sur les marches, fumer une cigarette en écoutant les musiciens, c’est ça son projet… Elle marche légère dans la rue, joue à faire claquer ses talons, son sac à la main, elle se sent libre et belle comme si la beauté de cette ville irradiait tout. Elle a mis une robe bleue, un peu longue, qui bouge joliment sur ses mollets. Les klaxons retentissent un peu partout : les habitudes de conduite des italiens l’amusent. « La mostra » dit sa mère, cette comédie perpétuelle des apparences, ce grand mic mac, c’est ça aussi qu’elle aime.

Un homme la croise, un homme comme beaucoup d’ italiens : pas très grand, chemise blanche un peu ouverte sur la poitrine, dents très blanches aussi, cheveux gominés, un spécimen en quelque sorte.

Il s’arrête à sa hauteur, lui fait un compliment, ce qu’elle prend pour un compliment. Des yeux qui sourient et un regard qui cherche le sien. Oui, elle veut bien boire un verre, oui, elle est française. Alors, il parle en français, plutôt bien,  il dit qu’il l’a su de suite qu’elle n’était pas italienne, quelque chose d’élégant dans la démarche, il dit qu’il est descendu du bus à la plus proche station quand il l’a aperçue et qu’il est  venu à sa rencontre. C’est ce qu’elle comprend.

Il parle vite sans se  départir de son sourire. Il demande si elle veut boire un verre  » la signorina  » et  » vous êtes si belle « . Il mélange les langues, il séduit, dans ce jeu là de la séduction comme seuls les italiens savent le faire . Il lui parle du « Caffe Greco », non, elle ne connait pas. Il l’invite. C’est via Condotti , l’une des rues les plus chics de Rome. C’est là qu’ils vont faire connaissance. Le lieu est beau, chargé d’histoire, comme toute cette ville. Des portraits au mur de toutes les célébrités qui l’ont fréquenté. « Louisa » il dit, cet homme qui s’appelle Vincenzo, avocat, il sort sa carte, la lui donne. Ils sont dans ce lieu inconnu, elle regarde cet homme inconnu aussi . Elle parle de ses vacances, des cours qu’elle prend, de ce prêtre qui est là aussi dans le cours, ils rient ensemble, leurs genoux se frôlent parfois. Quand ils n’ont pas les mots pour dire, ils échangent un sourire.

vacances romaines

C’est ça au fond la liberté pense-t’elle : une ville inconnue, un homme pour qui elle est juste un prénom, une française en semi-vacances. Pas d’histoire de vie à se raconter, trop compliqué dans les mots à traduire, ils jouent avec les banalités. Il lui tient le bras, le caresse en la regardant. Il y a la caresse des mots, des gestes et celle de l’italien qu’ils parlent. Il adore son accent, elle aussi, c’est si ….  » exotique » , si chantant, une promesse. C’est Visconti, Comencini, Scola, c’est « Une journée particulière » et de fait elle l’est.

Combien de temps sont ils restés dans ce café ? Quand ils sortent, c’est la nuit. Louise dit qu’elle veut marcher un peu seule, qu’elle va rentrer. Vincenzo griffonne son téléphone sur un papier qu’il lui donne, il referme sa main dessus, la tient  » Tu m’appelleras, di me lo » …  » Si » et elle sait qu’elle le fera.

Le lendemain, à 9h, c’est le cours d’italien. L’école n’est qu’à 10 minutes à pied de son logement. Elle est gaie, elle chante des chansons faciles un peu bêtes, des histoires « d’italien qui sait qu’il aura de l’amour et des femmes », elle n’a pas 52 ans, elle en a 18 peut-être tout au plus.

« L’inamoramento », c’est tellement beau, tellement plus beau que  » le coup de foudre » , c’est ce qu’elle ressent. A la pause , elle appelle, il lui donne rendez vous près de son travail, Piazza dell’Orologio, pas très loin de la Piazza Navona, ils iront déjeuner ensemble. Tous les jours pendant cette semaine qui vient, ils déjeuneront ensemble là au milieu des touristes, ce sera leur rendez vous quotidien pour faire connaissance. L’essentiel en fait de leurs journées, ces rencontres. Il est marié, il a fini par le dire, elle s’en fiche. Elle veut un homme qui l’aide à s’ancrer dans cette ville, pas se marier avec, pas quelque chose de sérieux, elle n’est même pas certaine du désir, du plaisir de le voir oui, du désir non.

Un jour de jeunes yougoslaves passent entre les tables du restaurant où ils sont. Ils mendient. Vincenzo et Louise ne font pas attention à eux, occupés par leur discussion. Les enfants passent, après il se rend compte qu’il n’a plus son téléphone, il était là sur la table, ils l’ont volé. Il est furieux, il faut qu’il appelle sa femme (ils sont dans autre chose d’un coup, dans le mensonge, ouvertement), il demande à téléphoner, elle l’entend parler, elle a honte pour lui un peu, pas longtemps. 

« Vincenzo,  da quando ti conosco, tutto quello che mi importava è sparito »… Enfin, elle veut le croire. Ce serait si simple comme les ardoises magiques de son enfance, on efface et on recommence, pas de trace visible.

Là c’est dimanche. Vincenzo est avec sa femme. Dans la journée, elle sort manger une glace. 

Demain, ils se verront dans leur endroit, ce qui est devenu leur endroit et là, il y aura ce moment où il l’invitera chez lui, sa femme est partie pour la semaine, viens tu verras c’est un joli appartement, il lui cuisinera la pasta et ils boiront du Chianti. Oui, elle viendra, jeudi soir, c’est d’accord, après elle part, elle retourne en France. 

 Jeudi soir : elle s’est fait belle pour aller vers lui.

L’appartement est un peu  vieillot en fait : des meubles en bois comme ceux qu’il y a chez ses parents, des tapis, des cadres un peu partout et des photos . Des dorures, beaucoup, c’est kitsch à souhait. On sent l’argent mais pas le goût.

Vincenzo ferme la porte à clés derrière elle, elle le remarque mais ne dit rien. Il fait les pâtes dans la cuisine, jette un spaghetti sur le mur pour vérifier la cuisson, elle connait ce geste, elle s’en est amusée souvent avec ses enfants, et puis voilà, il lui propose de s’asseoir sur le canapé, de boire un verre de Chianti , le temps que tout soit prêt. D’un coup il se jette sur elle, un animal , elle se défend, dit que non elle ne veut pas, qu’elle a peur.

Alors il arrête.

Ils se mettent à table. Sur le bahut en face, il y a un cadre avec une photo de mariage, Louise le prend et le met au milieu d’eux, entre les verres, les pâtes. Ils n’ont plus de mots d’un coup, ils mangent dans le silence. C’est à peine s’il ose la regarder et puis il appelle un taxi et la raccompagne.

Le lendemain, elle est gare Termini, le mois d’août est fini. Elle attend ce train de nuit qui la ramènera vers son Paris, sa ville.

Louise a mis la robe bleue, celle de sa rencontre avec Vincenzo, comme une manière de dire aurevoir à cette ville. Une caresse dans le cou la fait sursauter. Vincenzo est là, un peu pâle, haletant aussi, il ne veut pas la perdre, qu’elle parte oui, mais ils se reverront. L’évidence de l’inamoramento. Il bredouille dans un mélange d’italien et de français, il pleure aussi et puis il la prend dans ses bras et lui murmure à l’oreille des mots d’amour, de ceux qu’il a retenus pendant ces jours de leurs rencontres. La gare Termini bouge autour de ce couple enlacé dans le départ pour une histoire qui leur reste à écrire.

 

 [infobox maintitle= » » subtitle= »Dominique Mallié, blogueuse nous livre chaque mercredi sa vision de cinquantenaire sur des sujets qui la touchent, l’émeuvent ou la font s’interroger sous la forme de chroniques au ton décapant. Elle tenait le blog «chic, j’ai cinquante ans » sur l’Express Styles avant de rejoindre Les Boomeuses. Prof de lettres, elle organise régulièrement des lectures de textes qu’elle écrit dans sa ville d’ Avignon. Passionnée d’art, elle court les expositions et nous fera également partager quelques-uns de ses coups de coeur pour les artistes. »  » bg= »teal » color= »black » opacity= »off » space= »30″ link= »no link »]

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sylvie 28 juin 2017 - 9h04

Quel beau texte Dominique ! Vous avez réussi à nous faire vivre Rome et Louise c’est un peu moi ( d’ailleurs mon deuxième prénom est Louise 🙂
On voudrait vous lire tous les jours dans ce magazine ! Allez vous publier d’autres nouvelles cet été?
définitivement une de vos lectrices !
Bonne journée

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