En 1956, Jean Anouilh fait scandale avec Pauvre Bitos, pièce écrite en collaboration avec son épouse Nicole. De collaboration, il en est aussi question dans cette satire féroce de l’épuration qui suivit la Libération, où la vengeance est ici un plat qui se mange froid, douze années plus tard, pour devenir rapidement bouillant.
Dans une petite ville de province, André Bitos, ex-résistant et magistrat impitoyable, réputé pour son intégrité, est invité à un « dîner de têtes », soirée costumée où les convives endossent ici les costumes des grandes figures de la Révolution française. L’organisateur du dîner et la plupart de ses hôtes, que l’on suppose s’être plus ou moins « accommodés » avec l’occupant, veulent se payer sa tête, au sens propre et figuré.
A sa création au Théâtre Montparnasse, la pièce d’Anouilh, portée par une distribution ébouriffante (Michel Bouquet dans le rôle-titre, Pierre Mondy, Bruno Cremer, Nicole Anouilh…), déchaîna les passions, caricaturant avant l’heure le mythe d’une France résistante en mettant dos-à-dos collabos veules et résistants qui en profitèrent pour régler leurs comptes, riches et pauvres, droite et gauche, tout en flinguant au passage les stars de la Révolution française.
Pauvre Bitos, une farce cruelle
Cynique ou pessimiste, Anouilh y dépeint une société peu reluisante, bien loin de la politique de « réconciliation nationale » prônée depuis la Libération. Malgré des critiques assassines qui verront dans Pauvre Bitos un pamphlet contre la Résistance (Anouilh restera un bel exemple de « ventre mou » durant l’occupation, ayant à la fois publié des textes dans des journaux collaborationnistes, caché l’épouse juive du metteur en scène André Barsacq et, parmi d’autres auteurs comme Camus et Mauriac, soutenu la demande de grâce de Robert Brasillach), la pièce rencontra un immense succès public.
Comme le rappelle Thierry Harcourt – dont la mise en scène brillante contribue à redonner une nouvelle jeunesse à cette pièce – Pauvre Bitos n’a pas été joué depuis 1967. Pourtant, cette farce d’une rare cruauté, façon « dîner de cons » qu’un Dino Risi aurait pu adapter à la sauce italienne, reste profondément actuelle.
On y découvre une bande de notables balzaciens agrémentée d’un instituteur et d’une jeune fille « de bonne famille », venus se payer la tête d’un fils du peuple, André Bitos, devenu ce magistrat parangon de vertu qui fait trembler cette bonne société provinciale.
Maxime d’Aboville, en Bitos, mène cette danse macabre avec maestria, jouant de son physique façon De Funès et forçant sur une voix de fausset qui rend son personnage à la fois pathétique et insupportable. Il rend aussi ici un très bel hommage à son maître Michel Bouquet, dont il fut l’élève.
Entouré d’une troupe au diapason (Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adel Djemai, Clara Huet, en alternance avec Adina Cartianu, Sybille Montagne), ce Pauvre Bitos ne manquera pas, comme en 1956, d’énerver certains pour son message que l’on qualifierait encore aujourd’hui de « réactionnaire ». Et surtout d’amuser les autres pour ce jeu de massacre anti-politiquement correct.
Pauvre Bitos
Du mercredi au dimanche, jusqu’au 5 mai
Théâtre Hébertot
78 bis bd des Batignolles
75017 Paris
Tél. 01 43 87 24 24
A.Granat
Photos@@Bernard Richebé
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