Convoitée, Chypre a connu depuis l’aube des temps une succession d’invasions. Elle a su tirer profit de cette malédiction. Et s’affiche tel un assemblage coloré de fragments empruntés aux divers colonisateurs. La désignation de la ville de Paphos comme capitale européenne de la culture 2017 est l’occasion de découvrir cet héritage cosmopolite.
Le coup d’envoi des festivités a été donné fin janvier. « Les grandes villes n’ont pas le monopole de la culture », pouvait clamer d’entrée de jeu Christos Patsalides, le président du comité d’organisation. Paphos ne compte guère plus de 50 000 habitants, mais la région est truffée de théâtres antiques propices aux concerts, de forts médiévaux, écrins prédestinés d’expositions de peintures ou photos. Surtout, les vestiges gréco-romains sont autant d’invitations à revisiter les mythes et légendes d’antan.
Impossible en ces lieux d’échapper à Aphrodite, la déesse de la beauté, la Vénus des Romains. À l’entrée de Paphos, sur le rivage méditerranéen, quelques rochers figurent son lieu de naissance.
C’est là que suite à une querelle matrimoniale, Cronos (le Temps), sur les conseils de sa mère Gaïa (la Terre), trancha le sexe de son père Ouranos (le Ciel). De l’organe mutilé jaillit sa semence. Elle se transforma en écume qui fit apparaître la plus célèbre vamp de l’Antiquité. Volage, Aphrodite a multiplié les aventures extra-conjugales. On lui attribue des liaisons avec le bel Adonis, Poséidon ou encore Hermès. Mais il faut positiver : la reine de l’adultère est aujourd’hui perçue comme l’égérie de l’amour et la princesse de la fécondité. « Du coup, assure Kyriakos, notre guide, Chypre est devenue la destination préférée des futurs mariés européens, avant la Toscane. » Avis aux Juliette et Roméo !
L’affaire Pygmalion
Les cérémonies d’ouverture de Paphos 2017, placées sous le signe d’Aphrodite ont privilégié sa bienveillance en déclinant l’histoire de Pygmalion et Galatée. Émue par la passion que le sculpteur Pygmalion portait à sa création, Galatée, Aphrodite lui prête vie. Épousailles en présence de la déesse, et de cette union naîtra l’enfant Paphos.
Direction le parc archéologique de la ville. Surprise, les mosaïques qui composent le pavement des villas romaines dépeignent une succession de scènes de la mythologie grecque à la manière d’une bande dessinée de l’Antiquité. Bien conservées depuis la fin du IIIe siècle, elles figurent parmi les plus belles du monde de la Méditerranée orientale. Dans la villa de Dionysos, on passe sans transition de Narcisse contemplant son rocher aux amants tragiques, Pyrame et Thisbé : à la vue du voile taché de sang de Thisbé, Pyrame l’imagine dévorée par le tigre et se donne la mort. Découvrant le corps sans vie de son soupirant, Thisbé se suicide à son tour. Plus joyeuse, la mosaïque illustrant le retour triomphal de Dionysos après sa campagne militaire en Inde : il parade sur son char tiré par deux panthères. Les excès sexuels de l’époque ne sont pas ignorés. Zeus, érotomane total, procède au rapt de l’éphèbe Ganymède en prenant l’apparence d’un aigle ; plus loin, la jolie Daphné n’a d’autre choix que de se métamorphoser en laurier-rose pour échapper aux avances pressantes d’Apollon.
Dans la villa voisine, celle d’Aiôn, les fines mosaïques mettent en scène les rivalités. Ici, concours de beauté entre les Néréides, nymphes marines, et Cassiopée, reine d’Éthiopie ; là, concours de musique marquant le succès d’Apollon au détriment du joueur de flûte et satyre, Marsyas, traîné par les cheveux. Enfin, on peut contempler, à l’air libre cette fois, les restes de la villa de Thésée et la célèbre mosaïque du combat contre le Minotaure. À l’issue de son duel victorieux, grâce au fil d’Ariane, il réussit à sortir du labyrinthe.
D’Aphrodite à Marie
Arpenter la région ressemble parfois à un pèlerinage d’une église orthodoxe à une autre, tant l’empreinte des successeurs de Mgr Makarios, premier président de Chypre indépendante, semble marquer les esprits. Avoir réussi à substituer au culte d’Aphrodite celui de la vierge Marie n’est déjà pas un mince exploit. Surtout que cette translation s’accompagne d’un nouveau code moral : les turpitudes passées mises au rancart, les patriarches régentent à nouveau les mœurs (avortement et casinos interdits). Ils mobilisent aussi les fidèles. Lors de la messe du dimanche matin à l’église du monastère Agios Néophytos, toutes les générations sont au rendez-vous. Au terme de l’office, la foule se presse pour embrasser icônes et reliques. Visiblement, Saint Néophyte s’y connaissait en matière de culte de la personnalité, car de nombreuses fresques le représentent, entouré ou nom d’archanges, tel un dieu vivant.
Petits coups de cœur pour l’église œcuménique Chrysopolitissa ouverte au culte partagé (rites catholiques, maronites, etc.), ainsi qu’à la charmante église tout en rondeurs de Geroskipou. L’ensemble harmonieux des cinq coupoles en forme de croix constitue l’un des plus beaux exemples de l’art byzantin du IXe siècle. On apprendra plus tard que l’édifice a été construit à l’emplacement d’un temple dédié à Aphrodite. Tout un symbole.
Nourritures spirituelles friandises terrestres
Distant de 5 km de Paphos, le bourg de Geroskipou présente un autre avantage. Il permet de concilier nourritures spirituelles et friandises terrestres. Geroskipou est en effet le paradis du loukoum – cyprus delight dit-on ici – lancé au XIXe siècle et qui dispose depuis 2007 d’une IGP (indication géographique protégée), la seule accordée dans le monde à un dessert. Détour obligé par l’atelier artisanal Arsinoe. Xenia Polemiti, la patronne de la petite unité de fabrication, n’est pas peu fière de « perpétuer la tradition, depuis quatre générations » « Je mets deux jours pour fabriquer les loukoums », confie-t-elle, en découpant la pâte, aromatisée de l’une des vingt saveurs naturelles (rose, citron, mandarine, pistache…).
Cette mise en bouche incite à s’attarder sur la gastronomie locale : farandole de mezzes et poissons frais en particulier, arrosés de vins de qualité. Tant qu’à faire, autant choisir un restaurant surplombant la Méditerranée et ses eaux de couleur « chyproise » (turquoise est prohibé, rapport à l’occupation de la partie nord de l’île par Ankara !).
Derniers hommages avant de partir, d’abord à une nécropole antique, ensemble de tombes souterraines monumentales taillées dans le roc ; ensuite, au sanctuaire d’Aphrodite, et son hymne à la volupté sous forme de l’élégante mosaïque de Léda aimée de Zeus, qui prit la forme d’un cygne pour la séduire. L’inévitable Aphrodite ressurgit sur la plage, allongée sur un rocher : l’œuvre du sculpteur Yiota Ioannidou, bien dans l’esprit des manifestations de Paphos 2017, ressuscitant agréablement le passé.
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Infos pratiques pour Chypre
° Y aller. Avec AEGEAN Airlines. Vols directs Paris (CDG)-Larnaca ou avec escale à Athènes.
° Y séjourner. À l’hôtel Almyra de Paphos. Plaisir de dormir bercé par le bruit des vagues dans un cadre confortable et design imaginé par la décoratrice parisienne Joëlle Pléot.
° Monnaie. L’euro.
° Se restaurer. Vue sur la mer, poisson frais ou poulpe à « Ta Mbania » ainsi qu’aux « Bains d’Aphrodite »
° À déguster. Les vins bio d’Angelos Tsangarides
° À voir. Programme des manifestations de Paphos 2017 : À noter, parmi les 150 spectacles, une représentation de « Cassandre » avec Fanny Ardant (le 16 septembre).
° Se renseigner. Office de tourisme de Chypre.
° À lire. « Citrons acides » de Lawrence Durrell (Ed. Buchet/Chastel).
° Guides. Petit Futé Chypre, très complet sur Paphos (13,95 €) ; celui de la Bibliothèque du voyageur joliment illustré (Gallimard, 29,50 €) ; et le guide Évasion (Hachette, 15,90 €).
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Texte et photos © Yves Hardy
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1 commentaire
Une île magnifique, j’ai adoré !