Amoureux fous du Rajasthan

par Yves Hardy

Au nord-ouest de l’Inde, le Rajasthan fait figure de terre de passions. C’est dans cet État ou dans des territoires limitrophes que furent érigés – au nom de l’amour – des chefs d’œuvre architecturaux comme le Taj Mahal et le Fort rouge d’Agra ou la « cité idéale » de Jaipur. Mais le clinquant dissimule parfois de plus rudes réalités.

 

Le Taj Mahal, mausolée de marbre blanc

On quitte sans déplaisir la capitale, New Delhi, enveloppée dans de persistants nuages de pollution. Direction Agra, à la frontière de l’Uttar Pradesh et du Rajasthan. Le Taj Mahal, sublime mausolée de marbre blanc, se dresse bientôt face à nous et se reflète dans les bassins d’eau qui l’entourent. Le prestigieux monument attire quelque 20 000 visiteurs par jour et parmi eux nombre d’Indiens, séduits autant par la beauté de l’édifice que par sa source d’inspiration romantique et tragique. L’empereur moghol Shah Jahan était éperdument amoureux de son épouse Muntaz Mahal. Mais elle décède en mettant au monde leur quatorzième enfant. Avant de mourir, elle lui fait promettre d’ériger un lieu de culte qui rappelle éternellement leur passion commune. Shah Jahan respecte les vœux de sa bien-aimée et durant vingt-deux ans, entre 1631 et 1654 mobilise dromadaires, éléphants et bateaux pour amener sur le site les blocs de marbre nécessaires à la construction. Cet hymne à l’amour et au raffinement a traversé les siècles avec bonheur.

Rajasthan_Le Taj Mahal d'Agra attire les foules © YH.JPG

Le Taj Mahal d’Agra attire les foules

Vue sur l’éternité

Non loin, le Fort rouge d’Agra, imposante forteresse aux façades ocre, témoigne de la puissance de l’empire moghol d’antan. On admire les vastes jardins, l’élégance de la salle des audiences publiques tapissée d’écrans ajourés. Mais le pavillon octogonal, dont le balcon ouvre sur le Taj Mahal, incite à la méditation sur l’amour fou. Les obsessions amoureuses de Shah Jahan conduisirent en effet son fils cadet, Aurangzeb, a confiner son père en ces lieux durant huit ans, entre 1658 et 1666. Cruelle fin de règne : l’empereur mourut ici sans se lasser de contempler le Taj Mahal et de penser à son royaume et sa dulcinée perdus à jamais.

Rajasthan_Cour intérieure du Fort d'Amber, ancien siège du pouvoir royal © YH.JPG

Cour intérieure du Fort d’Amber, ancien siège du pouvoir royal

Dans les rues d’Agra, d’autres chantiers battent leur plein. Une noria de « coolies » transporte des bassines de sable sur la tête en se faufilant entre les autorickshaws, version locale du tuk-tuk.

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Nous sacrifions à la tradition en montant au fort d’Amber à dos d’éléphant.

Le ballet des pachydermes qui transporte force touristes empêche de se prendre pour un maharadja.

Tout de même, l’ancien siège du pouvoir royal qui s’offre au regard lorsque l’on a franchi l’une des portes fortifiées a de l’allure. La galerie des glaces retient aussi l’attention : sur des parois d’albâtre, une marqueterie de milliers de petits miroirs et de verres colorés scintillent de mille feux. Alentour, des bastions et des tours de guet sont érigés sur les collines qui surplombent le fort.

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Le guet

 

Jaipur, capitale du Rajasthan

Il est temps de gagner la capitale de l’État, Jaipur, «la ville rose», peuplée de 4 millions d’habitants. Il faut s’abstraire de l’incessant concert de klaxons et de l’atmosphère surchauffée pour admirer au cœur de la ville le Palais des Vents. Son étonnante façade ornée de niches sur cinq niveaux compte 953 fenêtres incurvées qui captent au mieux les courants d’air. «Construit en 1799, raconte Kashif, notre guide local, il a été conçu pour que les résidents bénéficient d’une précieuse fraîcheur et puissent assister au spectacle de la rue sans être vus».

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Le palais des vents

Dans les artères et ruelles avoisinantes, les échoppes du bazar tiennent le haut du pavé. Devant l’une d’elles, un fier garde aux jolies moustaches retroussées invite à la visite. Bijoux en or et étoffes multicolores haut de gamme sont à l’honneur. Femmes et hommes en saris et habits traditionnels défilent devant une publicité vantant les costumes occidentaux.

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Rajasthani aux typiques moustaches retroussées


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Femme au front orné du bindi, symbole de bonheur


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Jeune mère indienne et sa fille à Agra


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Femme au portable

Mariages arrangés et malédictions féminines

Autre affiche quelques mètres plus loin évoquant une romance à l’eau de rose proposée par Bollywood, l’industrie florissante du cinéma basée à Bombay (Mumbai). «Nous aimons rêver à ces histoires d’amour idéales ou fantasmées, commente Kashif. Mais dans la réalité, la plupart des mariages sont encore arrangés. Nous sommes dans la sublimation. Un jeune de mes connaissances a découvert la photo de sa promise, transmise par ses parents. Il l’a mise sur son cœur et leur a lancé : « Je l’aime déjà »… »

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Affiche de film dans les rues de Jaipur

À Mandawa, dans la province voisine du Shekhawati, on trouve trace de traditions plus tragiques. Sur les «havelis», les opulentes demeures des marchands d’hier qui ont fait fortune dans le commerce caravanier, des fresques peintes décrivent ainsi un terrible rituel, le sacrifice du sati. Jusqu’en 1827, les veuves étaient contraintes de s’immoler sur le bûcher funéraire de leur époux défunt.

Aujourd’hui encore, la malédiction d’être née fille est loin d’être conjurée.

Les médias indiens rapportent régulièrement des cas petites filles tuées à la naissance. «Dans les zones rurales, explique Kashif, nombre de couples pauvres redoutent d’avoir plus tard à payer la dot de leur fille qui engloutirait toutes les économies de la famille.» Echo à ces pratiques, l’Inde forte de 1,3 milliard d’habitants ne compte en moyenne que 9 filles pour 10 garçons. Et dans cette société sur-masculinisée, les pratiques de viols restent fréquentes. À preuve, ces taxis qui circulent à Jaipur, Delhi et ailleurs recouverts d’une affichette, «This taxi respects women». Manière de dire, que cela ne va pas de soi.

Histoire de se rasséréner, nous filons vers le bourg rural d’Achrol à une vingtaine de kilomètres de Jaipur. Un charmant village hôtelier piqueté de bungalows typiques et géré par Arun Seth s’adonne au tourisme solidaire (avec l’appui du tour-opérateur « Nationaltours »). Le mécène a planté des milliers d’arbres sur son domaine et subventionne, entre autres, une école d’une centaine d’élèves, où filles et garçons font leurs classes sur un pied d’égalité. Peut-être une préfiguration de l’Inde de demain ?

Texte et photos : Yves Hardy

 

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Infos pratiques

° Circuit au Rajasthan, organisé par Nationaltours, tour opérateur basé à Rennes. Mail : accueil@national-tours.fr. Tél : 02 99 85 87 87. Un voyage de l’année 2017, « L’Inde des maharadjas » est organisé sur 15 jours à partir de 1575 € (dont une semaine au Rajasthan), vols Air France inclus. www.nationaltours.fr

° Se loger

– À Jaipur ou à proximité, dans une haveli restaurée et bien aménagée : www.sabahaveli.com et www.mosaicsguesthouse.com. Ou encore dans un véritable et luxueux palais, isolé dans la campagne à 25 km de Jaipur, le Jai Bagh Palace : www.trulyyindiahotels.com
 Au village d’Achrol. Tél : 00 91 96 67 22 66 66.

– À voir (ou revoir) le film « The Lunchbox » qui évoque une improbable et touchante histoire d’amour sur fond de quotidienneté des classes moyennes émergentes dans une grande métropole indienne (Mumbai).

– Guides. Rajasthan (Encyclopédie du Voyage, Gallimard, 28,70 €), Petit futé (14,95 €) et Guide bleu « Rajasthan-Gujarat » (Hachette, 26,90 €).

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