George Sand écrivait que « Le souvenir est le parfum de l’âme». Les réminiscences d’enfance de Patricia de Nicolaï, descendante directe de Pierre-François-Pascal Guerlain, fondateur de la maison Guerlain, sont nimbées des senteurs de Shalimar, d’Habit Rouge ou de Chamade.
Bien que l’atmosphère odoriférante ait animé chaque conversation et qu’enfant, elle humait au cou de ses aïeules les guerlinades capiteuses, une femme Guerlain n’était pas destinée à travailler, et surtout pas dans la parfumerie.
À la fin des années 80, Patricia de Nicolaï défie les conventions, créant sa propre marque avant l’ère du parfum d’auteur. Face à une industrie dominée par les nez masculins, elle s’impose rapidement, avec ses compositions élégantes et une liberté créative revendiquée. En 1988, elle devient la première femme à recevoir le Prix International du Parfumeur-Créateur pour Number One.
Aujourd’hui, dans son laboratoire de la rue de Richelieu, elle continue de sculpter ses fragrances, inscrivant son nom parmi les joyaux de la parfumerie française, témoignant de trente-cinq ans de passion et de détermination.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant la création de votre marque ?
Patricia de Nicolaî : Grandir dans la famille Guerlain a profondément façonné mon désir pour les parfums, jetant ainsi les bases de ma future carrière. Mes débuts dans les études furent hésitants, initialement attirée par la chimie sans clarté sur ma vocation. C’est en lisant un livret d’orientation que j’ai découvert l’ISIP (Institut supérieur international du parfum) fondé par mon oncle Jean-Jacques Guerlain en 1970 ! Personne dans la famille ne m’en avait jamais parlé. !
Ni une, ni deux, j’ai exposé à mes parents mes aspirations, en leur indiquant que c’était cela que je désirais faire
Mon père m’a conduite à Versailles, dans un hôtel particulier métamorphosé en école. J’y ai soumis ma candidature, qui a été acceptée. À l’ISIP, rebaptisé depuis L’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire, j’ai étudié la parfumerie, la cosmétique et les arômes de manière intégrée, pendant trois ans dans une école encore jeune en 1978. Mes débuts ont été marqués par une découverte totale de l’industrie, avec des stages aux Fabriques de Laire qui incarnaient comme nulle autre la parfumerie moderne, notamment à travers leurs célèbres molécules odorantes de synthèse, chez Rochas également. Ces expériences ont consolidé ma passion pour la création olfactive.
Comment avez-vous décidé de lancer votre marque et quels ont été les défis majeurs en tant que femme-nez ?
J’étais lassée de mon travail de parfumeur chapeauté par le « tout marketing » dans l’industrie du parfum. J’ai donc décidé avec mon mari de me lancer dans un pari fou : créer ma propre marque.
À mes débuts, il y avait cette idée préconçue selon laquelle les femmes ne pouvaient pas être nez
Certains estimaient que notre sensibilité olfactive était inférieure à celle des hommes. C’était un défi, mais cela m’a aussi motivée à prouver le contraire. Je suis convaincue que les femmes ont une sensibilité olfactive exceptionnelle et une capacité innée à comprendre les nuances subtiles des parfums. Heureux signe du destin, l’année où je lance Nicolaï, j’ai été lauréate du meilleur jeune parfumeur-créateur Prix SFP pour le parfum Number One, notre première fragrance à être commercialisée dans notre toute première boutique située 69 avenue Raymond Poincaré dans le XVIème arrondissement de Paris. Je créais intégralement mes parfums au sein d’un petit laboratoire visible par les visiteurs de la boutique. Je voulais montrer l’envers du décor dans la continuité des premiers parfumeurs modernes et en particulier de Pierre François Pascal Guerlain, mon ancêtre.
Pouvez-vous nous parler d’un moment particulièrement gratifiant ou marquant au cours de votre carrière de femme nez ?
Il y en a eu plusieurs mais la création de New York en 1989 et son succès jamais démenti est une épopée ! J’y ai retranscrit ici ma fascination pour la ville qui ne dort jamais avec une « patte orientale ». J’ai travaillé en notes de tête quelques zestes fusants de petit-grain citronnier, de bergamote, de citron, de thym et d’armoise, associés aux notes de cœur avec du poivre noir, du clou de girofle, de la cannelle, de la lavande et de la camomille qui pimentent les notes de fond constituées de baumes, de l’absolue de fève tonka, du styrax, de l’encens et du musc.
C’est mon parfum « signature » qui embaume les aventures de San Antonio, dont l’auteur Frédéric Dard, était l’un des premiers aficionados. Il venait à la boutique vêtu en costume de prince de Galles bleu et il achetait « son » New York qu’il citait dans chacun de ses livres et qu’il a porté jusqu’à la fin de ses jours. Mon premier influenceur, c’est Frédéric Dard, quand même ! En 1992, New York a été considéré par Luca Turin auteur du premier Guide du Parfum, qui fait bible où il explore 1000 parfums, comme l’une des meilleures créations olfactives de l’histoire. Une reconnaissance extraordinaire !
Au fur et à mesure de toutes ces années où vous développez votre gamme, en termes de créativité, qu’est-ce qui est source d’inspiration pour vous ?
La peinture, l’opéra, le théâtre, la littérature, mais avant tout la nature qui en constitue la base. Rien n’égale l’exhalaison des fleurs, toujours. Quand je vais en Bourgogne, j’arrive, je descends du train à Beaune, il y a une odeur particulière. Ça sent le terroir, la terre, l’argile, la crayeuse de cette terre bourguignonne. En Bretagne, c’est l’odeur iodée qui prédomine. Au bord de la mer, avec les marées qui se retirent et reviennent, les effluves d’algues sont particulièrement intenses. À Paris, les tilleuls du Palais Royal qui s’épanouissent au printemps représentent, à mes yeux, le summum de l’expérience olfactive, le nec le plus ultra. Mes sources d’inspiration, ce sont les matières premières.
Parfois, je suis ensorcelée pendant de longues périodes par des ingrédients tels que le cèdre, la fleur d’oranger que j’apprécie toujours et même davantage aujourd’hui. En ce moment, c’est l’immortelle et l’iris qui captivent mon attention. Pour ma dernière création Iris Médicis, j’avais envie de concevoir un parfum qui consacrerait l’Iris : une des substances les plus rares et nobles de la palette du parfumeur. Bien que l’iris en parfumerie soit riche et intense, elle reste une note de peau tout en discrétion. C’est donc en mariant l’iris à une violette poudrée et à la douceur de la fleur d’oranger que j’ai trouvé une belle résonance légèrement gourmande. Un fond chaud santal-musc-vanille soutenu par un accord cuir safrané apportent ténacité et sillage. Iris Médicis est un parfum enveloppant, doux et lumineux dont la signature est d’une extrême élégance.
Vous êtes une femme entrepreneure de plus de cinquante ans. Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés dans notre société aujourd’hui, et quelles solutions envisagez-vous pour les surmonter ?
Les défis sont forcément nombreux. Passé l’âge de 50 ans, voire 55 ans, l’énergie et l’endurance ne sont plus les mêmes. Les défis technologiques revêtent également une grande importance, car le monde évolue à une vitesse vertigineuse. Ça bouge très vite ! Pour se mettre à la page, ce n’est pas toujours évident ! C’est pourquoi l’importance d’un bon entourage, notamment composé de personnes plus jeunes, est cruciale. Le mélange des générations au sein d’une équipe constitue une véritable force.
Comment les perceptions de la beauté et de la vieillesse ont-elles évolué au fil du temps, et de quelle manière, selon vous, cela impacte-t-il la vie quotidienne des femmes de plus de cinquante ans ?
De manière générale, dans notre monde d’aujourd’hui, une femme vieillit moins vite. Une femme de 50 ans aujourd’hui n’a pas du tout la même tête qu’une femme du même âge dans les années 50/60 par exemple. La femme dispose désormais d’une meilleure connaissance de son corps et on sait mieux le préserver, notamment en matière d’hygiène alimentaire et sportive. La cinquantenaire est également une femme très sollicitée ! La communication actuelle sur les produits de beauté est considérable et exerce évidemment une influence non négligeable sur notre mode de vie. La vie sociale aussi fait qu’une femme s’entretient plus longtemps en bonne forme.
Bien que les préférences en matière de parfum soient personnelles, certains estiment que le choix d’un parfum peut évoluer avec l’âge.
Partagez-nous votre opinion sur l’existence éventuelle d’un parfum spécifique qui pourrait mieux correspondre aux femmes de plus de cinquante ans ? Pensez-vous que les tendances du marché des parfums tiennent compte de cette tranche d’âge spécifique ?
Oui je partage cette opinion. Les goûts évoluent, chaque personne développe ses propres sensations vis-à-vis des parfums. Il n’y a pas plus versatile que la jeunesse. La maturité implique forcément des sensibilités différentes. Pas qu’avec le parfum d’ailleurs ! C’est la même chose par exemple avec les tenues vestimentaires ou les coupes de cheveux. On ne s’habille et on ne se coiffe pas de la même manière à 20 ans et 50 ans.
Je pense que les femmes de plus de 50 ans cherchent davantage de féminité dans leur choix de parfum avec des notes plus florales comme la rose, le néroli, le jasmin ou des parfums plus chyprés…
Je ne suis pas certaine que les marques s’intéressent plus particulièrement à cette tranche d’âge. Il est évident que les marques s’efforcent de faire jeune en premier lieu et s’intéressent moins aux plus de cinquante ans. Néanmoins, aujourd’hui, les lancements de parfums sont pléthores. Chaque marque offre une collection qui lui est propre avec des parfums illustrant le plus large spectre olfactif. Le choix est gigantesque, il y en a pour tous les goûts et tous les âges.
Texte et photos Anne Bourgeois
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