Son œil sait voir le ciel et les fleurs dans une goutte de rosée, le givre comme des épines de cristal sur une branche d’arbre sec. Frantisek Zvardon écrit avec ses yeux des poèmes sans paroles qui rendent toute parole vaine. En adorateur de la beauté qu’il partage avec générosité.
L’Alsace n’a pas de meilleur ambassadeur. Il en connaît presque chaque brin d’herbe et les ombres et le soleil à toutes les heures. Même les lumières nocturnes. Il lui est arrivé de se déplacer onze fois à 4 h du matin pour avoir exactement la photo dont il rêvait, au soleil levant, parce qu’il ne croit pas au hasard. Il part avec, en tête, l’image qu’il cherche d’une façon presque maladive, fébrile. Quitte à rentrer parfois sans photo ou à en saisir une autre surgissant de façon inopinée en cours de route. A l’instar d’un peintre, il scrute la lumière et ses mystères, de préférence en fin d’après-midi et jusqu’à dix heures le matin. Après, dit-il, « c’est plus banal ».
Frantisek Zvardon, happé par l’Alsace
Photographe, reporter mais aussi vidéaste, il voyage beaucoup mais à chaque retour, l’Alsace le happe encore et encore. Parce qu’à chaque retour, la saison a changé et donc les paysages et la lumière. De cette région qu’il a faite sienne, il pense avoir au moins 30 000 photos. Il a exploré longuement de petits territoires restreints. « Ils sont déjà tellement grands, dit-il, je pense que c’est une terre impossible à saisir dans une seule vie ».
Pour Frantisek Zvardon, l’Alsace c’est le romantisme des châteaux perchés en haut d’une colline, des nappes de brouillard au-dessus d’un vignoble, des villages de conte de fée blottis autour de leur clocher pointu, des forêts de sapins aux rochers couverts de mousses où ruissellent des eaux limpides qui se transforment en lumière à saisir à tout prix.
« Il faut comprendre le paysage avance-t-il ». Son travail exigeant est celui d’un artiste. Il est donc solitaire et obsessionnel mais aussi jubilatoire pour lui comme pour nous. « Je ne regarde que la beauté et j’en recherche la perfection ».
Une carrière et une vie hors norme
Le croirez-vous ? La carrière de Frantisek, en France, a commencé par des photos de… pizzas, une carrière aussi rocambolesque que sa vie hors normes. Frantisek Zvardon est né dans ce qui fut la Tchécoslovaquie où il a fréquenté la Grande École d’Art de photographie à Brno. Apprenant qu’un concours international de photo serait organisé à Vancouver, il avait réussi, jeune étudiant, à faire sortir d’une Tchécoslovaquie sous domination soviétique et sous forte censure, quelques-unes de ses photos qui ont transité par l’Allemagne. Il était interdit de collaborer avec les Occidentaux mais ces photos lui ont permis de remporter le prix du concours de Vancouver. Un prix récompensé par une dotation fabuleuse, pour lui, de 3000 dollars canadiens. Situation perturbante qui, à la fois primait l’excellence d’un artiste de l’Est mais reconnu par l’Occident capitaliste. Le régime a empoché l’argent et compensé le jeune lauréat sous forme de bons d’achat dans les magasins tchèques, peu achalandés, des années soviétiques.
C’est à partir de là que Frantisek Zvardon, jeune marié et père d’un enfant a pris la décision de quitter, si possible, cet univers fermé sans grand avenir pour lui. Ayant obtenu un visa pour la Yougoslavie d’alors, lui et sa famille ont pris une voiture qu’ils ont laissée de l’autre côté de la frontière italienne distante de 3 km par la mer. Une traversée que le couple a faite à la nage, poussant leur enfant installé sur un matelas pneumatique jusqu’au rivage italien. Avec 50 Deutsch Marks en tout et pour tout, sauvegardés dans une pochette étanche, ils ont téléphoné à un ami déjà installé à Strasbourg qui est venu les chercher en Italie. Une fois en France la famille a demandé et obtenu l’asile politique. C’était en 1985.
Quand le studio photo Antoine Boucher l’a embauché pour une période de six mois, ses premières commandes ont été pour mettre en valeur des… pizzas pour un dépliant. La mise en majesté de ce plat italien l’a propulsé à Chicago chez la sœur du propriétaire de la pizzéria, directrice d’une agence de mannequins puis, de fil en aiguille si l’on peut dire, auprès de multiples clients américains séduits par son art comme l’ont été, aussi, les agences photo françaises et européennes.
Paysages, personnages, mannequins, arbres et fleurs, photos humanitaires, il n’a cessé de témoigner de la beauté partout dans le monde mais s’émeut encore et toujours de celle de sa terre d’accueil alsacienne. Frantisek Zvardon a illustré plus de 300 livres à ce jour. Il est lui-même l’auteur de 35 livres photos. Comme des satellites tournant autour d’un noyau dur et indestructible : la beauté du monde.
Cette quête éperdue de perfection a visiblement ouvert l’homme à la générosité. Il est l’un des rares à partager librement et quotidiennement une de ses prises de vue sur les réseaux sociaux. Non pas de façon narcissique pour rechercher les hommages mais comme une invitation silencieuse à nous apprendre à regarder.
Nous lui sommes très reconnaissants de nous permettre de publier quelques unes de ses photos dans cet article.
Evelyne Dreyfus
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