Que reste t-il de nos amours lorsque la maladie vient frapper à la porte, c’est un monde qui bascule vers l’inconnu. Mais lorsque cette porte est celle de l’intimité sexuelle, elle s’ouvre aussi sur les fragilités et la grandeur d’un couple.
L’irruption d’un cancer du sein ou de la prostate – ou plus rarement de l’ovaire, du col, de l’utérus, de la vulve, du testicule – risque d’altérer la relation amoureuse. Mais est-ce vraiment une fatalité ? En effet, si la rupture d’équilibre au moment du diagnostic et des traitements est habituelle, le cancer ne signe pas pour autant la fin de la vie sexuelle et affective. Si un jour le doute et le découragement venaient à s’insinuer, il est bon de se rappeler les conclusions de cette étude¹
Autrement dit, si avant la maladie, votre vie sexuelle, sans pour autant avoir été un long fleuve tranquille, a gardé sa vitalité malgré les inévitables turbulences de la vie, et si en même temps, vous pouvez compter sur la tendresse, le soutien et disons-le, l’amour de votre compagne ou compagnon, votre couple sortira, une fois encore, vainqueur de cette épreuve !
Se réconcilier avec son corps pendant la maladie
Si la vie de couple est importante, il s’agit pourtant en tout premier lieu de se réconcilier avec son propre corps.
La tâche peut se révéler d’autant plus difficile que l’atteinte du corps se voit, se palpe, se ressent comme pour le sein. Pour les autres cancers gynécologiques ou la prostate, même si la chirurgie est « cachée », on n’en a pas moins le sentiment d’avoir perdu quelque chose en lien avec la féminité ou la virilité, la maternité ou la paternité et bien sûr, la sexualité. Et comme si cela ne suffisait pas, les symptômes associés à la ménopause ou l’hormonothérapie du cancer de la prostate s’invitent souvent sans crier gare dans les suites des traitements du cancer.
Commençons par les femmes
Chacune réagira différemment en fonction du rapport particulier qu’elle aura construit avec son corps tout au long de sa vie de femme et parfois de mère.
Heureusement, les femmes ont mille et une astuces pour tricher un brin et paraître encore plus belles ! Chouchoutez votre corps, offrez-vous – ou suggérez qu’on vous offre – un soin en institut de beauté, un massage bien-être, un coaching remise en forme ou une thalassothérapie. Faites la liste de vos envies ! L’entourage, même s’il est de bonne volonté, est parfois maladroit, effrayé par la maladie, tenté de se lasser, alors n’ayez pas peur, demandez ! Et si vous en profitiez aussi pour dépoussiérer votre garde-robe, histoire de redonner du peps à votre look ? Ce serait l’occasion d’un après-midi de lèche-vitrine avec votre meilleure amie suivi d’une pause gourmande dans un espace cosy ! Cela vous parait futile ? Vous n’en avez pas trop envie ? Lancez-vous, je suis sûre que l’expérience vous fera du bien ! Et puis, n’y allez pas seule, activez le réseau de copines ! Je me souviens d’une patiente qui avait demandé à toutes ses amies et connaissances de lui accorder une sortie, une fois, sans plus, au décours de sa chimiothérapie. Ce furent plus de cent moments de bonheur partagé !
Même pendant les traitements, il est possible d’avoir une activité physique tout en douceur, simplement avec une marche quotidienne, pourquoi pas nordique, grâce à une paire de bâtons. Vous pouvez aussi faire du sport en salle en respectant les messages que votre corps vous envoie pour manifester ses limites (douleur, fatigue, essoufflement) et avec un suivi par un professionnel. Privilégiez ce qui renforcera la conscience que vous avez de votre corps et de votre respiration : taïchi, qi qong, yoga, méditation en pleine conscience…. Vous trouverez selon votre région des activités comme les APA² de la Ligue contre le cancer ou d’autres propositions développées et soutenues par votre réseau régional de soins en collaboration avec des associations agrées. Il y a les femmes qui rament (sans jeux de mot !), celles qui tirent à l’escrime, celles qui boxent, celles qui nagent, randonnent ou pédalent, et j’en oublie ! Voici quelques exemples d’associations dont certaines sont sous l’égide des fédérations sportives nationales : AVIROSE pour l’aviron, les DRAGON LADIES pour le canoë-kayak, R.I.P.O.S.T.E. pour l’escrime, BOXE’LIB pour les adeptes de l’uppercut ! L’activité sportive a non seulement démontré son intérêt pour la santé physique, psychique et sexuelle, mais elle augmente aussi les chances de guérison des cancers. Alors, on y va ?
Vous avez l’âme créative ? Vous êtes toutes capables de créer du Beau ! Selon vos dons et vos goûts, n’hésitez pas à vous mettre – ou vous remettre – aux travaux d’aiguille, à la peinture, la poterie, la musique, l’écriture … Vous avez des aspirations spirituelles et un questionnement existentiel bien compréhensibles ? Lectures, médiation, prière, retraites peuvent contribuer à votre sérénité. Que ce soit par la création ou par la spiritualité, c’est tout votre Être, corps et âme, qui va reprendre de la valeur à vos yeux !
Retrouver le corps de l’autre
Et maintenant, voyons ensemble comment remettre sur les rails cette vie sexuelle mise à mal au plus fort de la tourmente !
Un peu de légèreté et d’humour, cela ne peut pas faire de mal, alors allons-y pour une métaphore très alimentaire …
Moins on mange, moins on a faim !
Cela semble paradoxal, mais moins vous avez de rapports, moins vous en aurez envie, c’est scientifique ! Le désir peut disparaître, simplement parce que cela fait trop longtemps que l’on n’a plus fait l’amour.
L’appétit vient en mangeant !
Contrairement à la physiologie de l’homme où le désir précède toujours l’excitation, pour la femme, la stimulation sexuelle est capable de réveiller la libido. Bonne nouvelle, n’est-ce-pas ? Il va donc falloir mettre la charrue avant les bœufs, c’est-à-dire saisir l’opportunité, même si vous n’en avez pas une folle envie. Attention, il ne s’agit pas de se « forcer », mais juste de se laisser aller, nuance !
Avant de passer à table, on s’ouvre l’appétit !
Pour être désirante, il faut d’abord se sentir désirable, nous l’avons dit. Cela peut passer par l’application d’un lait corporel parfumé à choisir en fonction de l’humeur ou du fantasme du jour, ou une lingerie plus raffinée ou coquine qu’à l’accoutumée si cela vous chante ! Ensuite, respectons le timing de la femme qui est bien différent de celui d’un homme. En effet, il faut à une femme environ une vingtaine de minutes pour mettre son corps en de bonnes dispositions pour une relation sexuelle et ce n’est qu’après, grâce aux préliminaires, que l’excitation va monter et la lubrification apparaître. Cette préparation du corps est sous la dépendance d’hormones dont on peut activer la sécrétion en stimulant la peau et les zones érogènes. En pratique, on peut prendre une douche, en insistant un peu sur les seins et le clitoris, compléter par un peeling qui, en prime, amplifiera la sensation agréable des caresses. Ne pas se priver de demander un massage à son partenaire, c’est bon pour tous les deux ! Quand il est devenu difficile d’avoir envie, il est nécessaire de se préparer physiquement, mentalement et d’activer un peu son imaginaire. Le premier organe sexuel est le cerveau, ne n’oublions pas !
Pour retrouver l’appétit et bien digérer, il faut manger régulièrement !
Après une longue période sans relations sexuelles, et sous l’effet de la ménopause ou de certains traitements comme les anti-aromatases, la muqueuse vaginale devient sèche, sensible et fragile. Cette sécheresse vulvovaginale représente alors un vrai handicap pour la vie sexuelle et, le rapport devenant douloureux, le plaisir n’est plus au rendez-vous, puis la libido flanche. Il risque alors de se mettre en place un cercle vicieux à partir de la douleur lors de la pénétration, qui entrave l’excitation, d’où une moindre lubrification avec une augmentation de la douleur se répercutant à nouveau sur l’excitation, et ainsi de suite ! Pour pallier ce problème, on utilisera un lubrifiant et une pommade cicatrisante si besoin. On pourrait aisément comparer cette difficulté à lubrifier aux troubles de l’érection chez l’homme.
À un certain degré de sécheresse, par un réflexe de contraction des muscles à l’entrée du vagin, les rapports peuvent devenir impossibles et l’on parlera alors d’un vaginisme secondaire. Là aussi, ne désespérez pas, une prise en charge psychocorporelle est possible.
Le corollaire sans lequel tous ces efforts seraient vains, est d’avoir une vie sexuelle régulière. En effet, dans ce contexte, la maxime « la fonction crée l’organe » s’applique à merveille. À ce point de l’histoire, je vous propose de tenter le SMIC, le Sexe Minimum Indispensable Consenti, et c’est tout simple ! Vous allez négocier avec votre partenaire le moment le plus favorable et la meilleure fréquence pour la reprise des relations sexuelles et ainsi réamorcer la mécanique. Savez-vous quelle est l’heure où la libido de la femme est la meilleure ? Quinze heures ! À retenir pour la programmation d’une délicieuse sieste à deux … La posologie habituelle est d’une fois par semaine et plus si entente, parole de docteur !
Et surtout, il s’agit d’avoir envie d’avoir envie !
Vouloir que ça change, désamorcer le conflit si nécessaire, regarder son conjoint avec d’autres yeux que ceux de la lassitude ou du ressentiment pour finalement le trouver beau et désirable !
Qu’en est-il à présent des hommes ?
Comme nous retrouvons un certain nombre de points communs entre les conséquences sexologiques d’un cancer du sein et celles d’un cancer de la prostate, je m’autoriserai, bien que gynécologue, quelques mots à propos des difficultés sexuelles secondaires au traitement d’un cancer de la prostate.
La prostate, le sein et l’utérus, sont des organes à forte connotation symbolique dans le champ de la fertilité mais aussi, c’est une évidence, celui de la sexualité. Si une femme doit faire le deuil de sa fertilité ou de sa capacité à avoir des relations sexuelles, elle ne se sent pas moins femme pour autant. En revanche, dans une situation similaire, un homme risque fort de se sentir blessé jusques dans son identité masculine.
Les effets secondaires des traitements du cancer de la prostate, sont de deux ordres : les troubles de l’érection et la perte de la libido. Si le traitement se limite à la chirurgie et/ou la radiothérapie sans faire appel à l’hormonothérapie, la libido reste intacte et, en fonction des conditions de la chirurgie et de l’irradiation, l’érection devrait se rétablir rapidement. Seule ombre au tableau, le stress de « ne pas pouvoir » … C’est là que la tendresse, la bienveillance, la réassurance, la coopération active de la compagne sont essentielles afin que la confiance revienne et que la vie sexuelle reprenne. Un conseil : ne pas attendre, car le sexe de l’homme, en absence d’activité, risque de perdre une partie de sa capacité érectile. Un accompagnement médical et para-médical a également toute sa place dans la prise en charge des dysfonctions érectiles, allant de la rééducation psychocorporelle aux médicaments, des injections intra-caverneuses4 au vacuum5.
Le traitement hormonal du cancer de la prostate a pour objectif de couper toute source de testostérone puisque cet organe est, comme le sein, hormonodépendant. Le bénéfice est grand pour les chances de guérison, mais les effets sur la libido sont nets.
Sans testostérone, le désir ne naîtra pas aussi facilement qu’auparavant, ce sont donc d’autres ressources, plus affectives et fantasmatiques, qu’il faudra apprendre à mobiliser. Or, en l’absence de désir et d’excitation sexuels, il n’y a pas d’érection. Le regard bienveillant de la femme et la volonté commune de garder une intimité des corps par les caresses ou les massages viendront pallier l’absence de relations sexuelles complètes.
La carence en testostérone entraîne aussi des changements corporels visibles avec une baisse de la masse musculaire, une modification de la répartition de la masse graisseuse et parfois même un développement des seins. Le corps perd son apparence antérieure et l’image qu’il renvoie vient affecter l’estime de soi de bien des hommes. S’occuper de son corps, avec les mêmes conseils donnés plus haut pour les dames, tout en les adaptant aux us et coutumes des messieurs – vous êtes dispensés du tricot ! – sera là aussi, du plus grand secours !
Et pour conclure, que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de nos amours ? L’Amour et la Vie, car l’amour, c’est la vie ! J’ai gratifié ces deux mots d’une belle majuscule pour signifier leur valeur ultime et leur saveur unique. « What else ? » interroge George Clooney dans une célèbre publicité. « Quoi d’autre ? » . Et bien, pour faire fleurir l’amour et la vie, il y a la tendresse, l’amitié, la solidarité, la beauté de la nature, celle de l’art, le bien-être du corps et celui de l’esprit. L’intimité des corps peut apporter une note colorée de plus au bouquet, mais la vie nous offre encore bien d’autres fleurs à cultiver dans notre jardin pour illuminer nos jours !
Le Dr. Odile Bagot est spécialiste en gynéco-obstétrique et psychosomaticienne. Elle est titulaire d’un master d’éthique et enseigne la sexologie à l’université de Strasbourg. Sous son pseudo de Mam Gynéco, elle est l’auteur du Dico des nanas et du Dico des femmes enceintes chez Hachette. On peut la retrouver sur le blog de Mam Gynéco et sa page FB et sur Les boomeuses
Remerciements au Dr Jean-Lionel Bagot, spécialisé en soins de supports en oncologie, pour l’expertise de sa relecture.
1 commentaire
Que reste-il de l »amour ? De soi ? De l’autre quand il ne fuit pas devant la maladie, terrifié de ce que l’autre (et lui) va devoir traverser ? La sexualité ? Encore faut-il y penser, entre deux chimios, deux radiothérapie, un scan, une scinti… Et des médecins qui vous annoncent que vous n’en n’avez plus pour longtemps ? On tente de sauver sa peau, de ne pas mourir, de survivre ? Que dire à l’homme qui quand il n’a pas été castré chirurgicalement l’est chimiquement ? Que lui dire quand il voit son corps déformé par les hormonothérapies qui servent à faire baisser les taux de PSA et faire plaisir à l’oncologue car il donne raison à son protocole. Oui, continuer à s’aimer, si on en a encore un peu le temps, prendre soin de soi tout en se voyant diminuer, trop vite car on n’a pas fini, on aimerait bien être encore joli (e) séduire, et se dire que c’est fini, qu’il faut envisager autre chose, ne plus pouvoir aimer, manger, faire l’amour, se contenter d’un ersatz de tout ça et lire le mépris et la pitié dans le regard de l’autre. il faut entendre aussi les mots, la douleur des proches, impuissants. La maladie est une épreuve, terrible, et quand on n’en meurt pas on en ressort terriblement meurtris. Voilà le réel, celui que j’ai entendu dans les services, vu, écoutés, les mots que je recueille au jour le jour. Etre en vie et ne plus avoir envie… terrible paradoxe