La dernière création de Jean-Philippe Daguerre, « Du charbon dans les veines », reprend au Théâtre du Palais Royal auréolée de ses 5 Molières amplement mérités. Une pièce à ne pas manquer pour la rentrée.
L’action se situe à Noeux-les-Mines, ville du Nord de la France, en 1958. La région des « Gueules Noires », ces hommes, femmes et adolescents qui travaillent au risque de leur vie dans les mines de charbon. Le café de Simone est le lieu central de la pièce où se retrouvent Bartek, mineur et syndicaliste immigré de Pologne, et son ami Sosthène, le mari de Simone. Ce dernier, atteint de silicose – la maladie des poumons qui touche la plupart des mineurs – vient d’acheter une télé avec ses « indemnités maladie » pour regarder la coupe du monde de football qui se déroule alors en Suède, et où devrait briller l’enfant du pays, l’ancien mineur lui aussi d’origine polonaise Raymond Kopaszewski, dit Kopa.
Sosthène dirige aussi l’orchestre des accordéonistes de la ville, « Les accordéons des corons », où jouent son fils Pierre et son meilleur ami Vlad, le fils de Bartek. Arrive un jour Leila, une jeune fille d’origine marocaine, qui intègre la formation et va bouleverser tout ce petit monde.
Une histoire universelle et bouleversante
Jean-Philippe Daguerre possède ce don d’écrire des histoires universelles et bouleversantes, se nourrissant ici des témoignages de comédiens tels son ami Frédéric Habera, dont le père, mineur venu de Pologne, dirigeait un petit orchestre, ou de la formidable Raphaëlle Cambray, qui incarne Simone dans la pièce, dont la grand-mère ch’ti tenait un bistrot de village.
Avec sensibilité, l’auteur nous replonge dans cet univers disparu, d’une incroyable rudesse mais aussi tellement chaleureux, à l’image des « Gens du Nord » chantés par Enrico Macias. Ici, la musique joue un rôle essentiel, sublimée par les belles compositions de Hervé Haine. Elle réconforte, comme les coups qui sont avalés au bistrot par les protagonistes après l’enfer de la mine, et insuffle de la vie au son de l’accordéon, ce « branle-poumons » ainsi surnommé par les amateurs. Instrument populaire par excellence, méprisé par les bourgeois mais adulé par ce « petit peuple » auquel rend merveilleusement hommage Jean-Philippe Daguerre.
Du charbon dans les veines, une magnifique ode à l’amitié
Il s’appuie sur une formidable distribution, portée par un Jean-Jacques Vanier éblouissant de justesse, comme à son habitude. On l’avait adoré dans son interprétation de « La Contrebasse » de Patrick Süskind, il excelle encore ici en mineur usé mais philosophe, fou amoureux de sa femme, fan de foot et de musique. On pense à Bourvil en le voyant sur scène, tant son jeu est empreint d’humanité et d’humour tendre. A ses côtés, Raphaëlle Cambray (récompensée par un Molière comme Comédienne dans un second rôle), en Simone, campe une héroïne modeste pleine de charme et de lucidité, tandis qu’Aladin Reibel incarne Bartek avec passion. Quant au « trio » composé par Leila (Juliette Béhar, Molière de la Révélation féminine) et ses deux amoureux (Théo Dusoulié et Julien Ratel), il brille à la façon d’un Jules et Jim des corons.
Ce qui séduit évidemment dans « Du charbon dans les veines », c’est cette peinture d’un monde disparu, populaire sans être populiste. Un monde où des immigrés polonais furent remplacés par des immigrés marocains pour les besoins d’une industrie du charbon vouée à disparaître. Un monde jadis accueillant, sans doute idéalisé, mais que brosse Jean-Philippe Daguerre (excellent sur scène en médecin amateur de jazz) avec sincérité. Il nous offre ici une magnifique ode à l’amitié, à la fraternité et à l’amour, entre rires et larmes, dans l’esprit des classiques de John Ford et de Frank Capra.
Du charbon dans les veines Théâtre du Palais-Royal 38, rue de Montpensier 75001 Paris Tél : 01 42 97 59 76 Jusqu'au 21 décembre. Mardi et jeudi à 20h30 Samedi à 19h00 et dimanche à 15h30
A.Granat
Crédits photos : Grégoire Matzneff
Lire aussi : Le marchand d’étoiles