De mère en mère

De mère en mère

par Minou Azoulai

Sacrée maman… La mère est à l’honneur dans de nombreux livres en cette rentrée littéraire, sous les plumes de boomeuses et de boomeurs, ou de leurs enfants, qui revisitent leur passé.
Hasards ou rendez-vous générationnels ?

Les uns comme les autres grattent leurs cicatrices, triturent leurs souvenirs, versent leurs larmes longtemps retenues, crient leurs joies, ou expriment leurs colères adoucies ou
étouffées par la vie. Ces boomers, accusés par certains des échecs politiques actuels, montrent qu’ils ont aussi du cœur, de la compassion. Des images et des voix les hantent autant qu’elles les aident à vivre.
Après-guerre, ils ont été élevés cahin-caha par des parents souvent meurtris, engoncés dans les carcans de la morale et de la bien-pensance. Alors, pour échapper aux fantômes du passé, ils ont renversé la table, ils sont devenus parents…

Et, galvanisés par la libération de leurs corps, de leurs pensées et de leurs cultures, ils ont généré, par leur volonté et leur ambition, l’opulence professionnelle. Ils ont traité leurs enfants comme des potes avec lesquels on peut faire route et cause communes.

La mère est à l’honneur en cette rentrée littéraire

Seulement voilà ces enfants ont vieilli… Ils se souviennent, avec plus ou moins de talent, de ces mères aimantes, désorientées, en proie à des liens qu’elles essaient de défaire. De ces mères avides d’expériences plus ou moins artificielles, entraînées par des pères risque-tout, dominateurs et sûrs d’eux-mêmes… De ces mères maltraitées, parfois violentées qui ont passé sous silence leur mal être. Et pourtant de mère en mère, ces femmes héroïques ou minables restent universelles. En cette rentrée pour le moins poussive et agitée, les écrivains, des enfants comme les autres, reviennent sur les traces de leurs souvenirs.

Trop aimés ou mal aimés, ils nous rappellent que chaque mère, chaque père, exerce le métier de parent avec angoisse. Parce que ce statut implique avant tout l’humain, l’affect. Pas de règlement intérieur, pas de convention collective. Aimer d’abord, être aimé, chacun pour soi, chacun comme il peut… C’est justement un boomer, le grand Alain Souchon qui le premier a chanté « Allo maman bobo… »

Ils se souviennent, avec plus ou moins de talent, de ces mères aimantes, désorientées, en proie à des liens qu’elles essaient de défaire

Mais trop facile d’en vouloir à Maman, quand elle aussi cherche le point d’orgue entre sa propre mère et son enfant. Facile de l’accuser, de dire ou écrire qu’elle a dû passer outre les frustrations ou les douleurs de ses enfants pour défendre sa propre existence.

Tout est de sa faute ? Mais, qui sait les nuits sans sommeil qu’elle a vécues, les larmes qu’elle a versées en emmenant ses petits à l’école pour encore et encore couper le cordon ombilical ? Sous le regard désapprobateur de sa Maman à elle…Qui sait les courses contre la montre qu’elle a répétées jour après jour, les réunions qu’elle a annulées, pour être à l’heure et faire ses devoirs « domestiques » en surveillant ceux de ses gamins ? Qui sait qu’elle a pu être mal aimée par l’homme de sa vie, le père de ses enfants ?

Dans ces romans de rentrée on comprend qu’une génération est au mitan de sa vie, qu’il lui est impératif de faire une mise au point, pour mieux se connaître et vieillir en toute sérénité.
La vie nous changés, la vie a changé et nous avons changé la vie.

Le bilan est complexe ? Allo maman bobo…Même si elle n’est plus là, ou parce qu’elle n’est plus là ! Les douleurs, les joies ressurgissent, les sparadraps qui cachent nos blessures nous collent à la peau ; on cherche une responsable, oubliant que le père brille par son absence ou par sa silhouette qui furète ailleurs pour ériger des barrières qui nous protègeraient d’un monde méchant. Là c’est quitte ou double ! Erreur le monde nous a atteint. Il nous a éraflés ou profondément blessés.
Maman essaie encore de nous consoler, mais elle n’y parvient plus. Trop occupée par sa propre finitude. Il nous faut faire sans elle, pour tenter d’effacer ses traces tenaces et douces à la fois.

Allo maman bobo

Les romans qui émergent s’enrobent de fiction mais la réalité est là, palpitante. Sous les pavés, la plage ?
Emmanuel Carrère, Amélie Nothomb, Justine Lévy, Lionel Duroy, Régis Jauffret, Laurent Mauvignier, et tant d’autres offrent des récits qui peuvent nous laisser de marbre, nous faire
rire ou pleurer, mais tous nous murmurent notre enfance passée, notre vert paradis, parfois amer.  A mère…pour faire un mauvais jeu de mots ?

Alors s’il faut incriminer ou encenser les boomers, n’oublions pas les boomeuses. Elles aussi ont tout donné pour s’imposer ou simplement exister. Pour être la « bonne mère » théorisée par Winnicot. Ou celle de Romain Gary dans « La promesse de l’aube », ou encore celle d’Albert Cohen dans « Le livre de ma mère. Elles aussi ont chanté la chanson de Souchon.

« Allo maman bobo…Maman comment tu m’as fait, je suis pas beau (…) Je suis mal en scène et mal en ville (…) Peut-être un petit peu trop fragile…Peut-être un petit peu trop rêveur. »
Mais n’oublions jamais que chanter, écrire, lire ou rêver c’est vivre. Et la nostalgie qui nous enveloppe est peut-être la meilleure, celle des commencements où l’on a tant aimé se lover. Comme dans les bras d’une maman.

Minou Azoulai

Lire aussi : Allo ma fille, bobo

Vous devriez aussi aimer

Laisser un commentaire