Noël est une parenthèse de lumière. Il suffit d’un éclat de guirlande pour que la grisaille du monde, l’espace de quelques heures volées, disparaisse d’un coup de baguette magique. Surgit un temps autre, suspendu, plus léger qu’un flocon de neige, presque invisible, tendu par cette attente infinie que les enfants connaissent, mais que nous portons encore en nous : une promesse de merveilleux. Alors, pour traverser ces heures magiques et fugaces, six parfums nous accompagnent l’instant d’une effluve, vers cette féerie première, l’art de la joie.
Noël en six parfums enchantés
Barénia — Hermès
Il fait déjà bien froid quand l’après-midi décline sur les grands chênes, leur mousse blanchie par la brume d’hiver ; dans la maison, une à une, les bougies s’allument. On déplie les nappes épaisses, on aligne les couverts de fête ; les chaises attendent. Bientôt paraîtront les manteaux cuirés des visiteurs du soir, gantés de glace et d’odeur terreuse des frimas. À leurs mains, un bouquet de fleurs blanches y mêlera son sillage juvénile. Barénia Eau de Parfum Intense d’Hermès, signé Christine Nagel, parfumeuse de la maison, est un cuir chaud aux accents ambrés, qui épouse l’instant où la demeure se fait refuge avant la nuit de célébration ; un an après sa première apparition, il en projette l’ombre portée dans une concentration plus profonde. Ici, le patchouli ne se contente plus de murmurer — il devient absolu, plus ample, plus tellurien, comme s’il prenait appui dans le crépuscule. En son cœur, le lys papillon et la baie miraculeuse se recomposent, traversés d’une caresse animale qui donne au parfum sa sensualité. Puis vient le chêne, souverain, apportant une gravité nouvelle — comme la pénombre d’un réveillon qui s’alanguit jusqu’au lendemain.
Notes de tête : Baie miraculeuse
Notes de cœur : Lys papillon
Notes de fond : Patchouli absolu, Akigalawood, bois de chêne et cuir
Hermès, Barénia, Eau de parfum intense, 170,00 € les 100 ml.
Crème Ébène — Nicolaï
Il y a ce moment, juste avant que les voix ne s’échauffent, où chacun trouve sa place dans une bousculade joyeuse autour de la vaste table : les plats mijotés d’épices fument dans la cuisine, les dattes sur la desserte brillent comme des perles noires. Le silence gagne petits et grands lorsque le buffet ancestral se patine dans la lumière. L’enfance redevient reine, une douceur nimbée tombe sur les épaules. Les mots de ceux qui ne sont plus, mais dont les boiseries ont gardé la mémoire, soufflent de toute leur âme. Crème Ébène de Patricia de Nicolaï reflète ce temps de l’intime. Le bouquet d’épices en tête — cardamome, cumin, safran — s’ouvre sur un cœur de cèdre aromatique feutré par le velouté des dattes medjool. L’Eau de Parfum Intense dévoile ensuite sa facette plus sombre : un cuir infusé d’essence de papyrus, aux accents légèrement fumés, s’unit à la profondeur terreuse du patchouli, à la chaleur lactée du bois de santal. La sensualité des muscs blancs et une vanille crémeuse apportent de la rondeur. La nuit s’installe — douceur d’un côté, ombre de l’autre — mais une harmonie ténue persiste autour de la table.
Notes de tête : Essence de Cardamome, essence de Cumin, Safran
Notes de cœur : Essences de Cèdre Atlas et de Cèdre Virginie, Datte Medjool
Notes de fond : Essence de Papyrus, Essence de bois de Santal, Essence de Patchouli, Vanille, Musc blanc
Nicolaï, Crème Ébène, Eau de parfum intense, 82 € les 30 ml.
Incensum — Mizensir
Les enfants s’endorment, le vin a embrumé les esprits, mais qu’importe. On saisit les manteaux, on s’enroule dans les écharpes et l’on referme la porte de la maison pour s’enfoncer dans le froid mordant de décembre. Les pas crissent, l’on rit un peu et l’on marche ensemble vers l’église qui seule brille dans la nuit noire. Devant son entrée, le silence revient d’un coup. Un souffle d’encens surgit, lourd et tendre, alors que les chants montent peu à peu. Le sacré est un parfum et Incensum d’Alberto Morillas, le reflet de cette heure en apesanteur : une fumée lente, où la myrrhe profonde et les bois brûlés s’accordent entre Orient et Occident. Le maître parfumeur s’est inspiré du Kōdō, cette cérémonie ancestrale japonaise où les diverses essences consumées sont devinées. De ce geste ancien, il a composé un parfum d’encens universel qui traverse siècles et continents et où l’on embrase une résine pour se sentir vivant. Gingembre en tête comme une étincelle, puis l’encens pyrogéné, épais et noir, rencontre la myrrhe, translucide et mordorée. Enfin surgit le woodleather, tanné, robuste, que le papyrus adoucit d’une poussière sèche : une fragrance de contemplation, de ferveur tranquille, de nuit qui s’effrange avant l’aube.
Notes de tête : Essence de gingembre
Notes de cœur : Essence d’encens pyrogéné, essence de myrrhe
Notes de fond : Woodleather, essence de papyrus
Mizensir, Incensum, Eau de parfum, 210,00 € les 100 ml.
Blanche Bête — Liquides Imaginaires
Quand vient le jour et que la pénombre bleuit, le pas des enfants est un éveil sans lassitude. Les entendre dévaler les escaliers en criant, et nous voilà arrachés du lit pour suivre ce tumulte radieux : le Père Noël est passé. Le papier se froisse, les yeux peinent à s’ouvrir — et soudain, dans leurs mains, une licorne blanche : jouet ou vision, on ne sait plus ; est‑ce une apparition ? C’est cette irruption — brève, presque irréelle — que raconte Blanche Bête, imaginée par Philippe Di Méo, fragrance magique récompensée aux Fragrance Foundation Awards en 2022. La parfumeuse Louise Turner lui a donné corps et peau : en tête, l’accord lacté et la graine d’ambrette se lèvent, semblables à une buée. Puis surgissent les fleurs, jasmin et tubéreuse, frôlées d’un encens translucide, comme si la créature avait déposé dans l’air un battement d’ailes invisibles. Enfin, dans toute cette blancheur, tonka, cacao, vanille musquée apportent une animalité douce. Car Blanche Bête s’inscrit dans la trilogie Eaux de Peau — Peau de Bête, Blanche Bête, Bête Humaine — qui explore cet instinct ancien où l’homme respirait le monde comme un animal magnifique. En édition limitée, le flacon se fait icône : blanc lacté, cerclé d’argent, la licorne a laissé son reflet dans le verre. Et le nôtre avec.
Notes de tête : Graine d’ambrette, accord lait, Mystikal
Notes de cœur : Jasmin vintage, pétales de tubéreuse, encens
Notes de fond : Fève tonka, cacao, vanille musquée
Liquides Imaginaires, Blanche Bête, Édition limitée, Eau de Parfum 300 les 100 ml avec la crème mains 30 ml offerte.
Bakhta — Maison Maïssa
Après le repas, combien d’heures dure‑t‑il ? Personne ne le sait, seul le soleil qui descend de son zénith en garde le tempo. Quelqu’un finit toujours par demander : un café ? On se lève, on débarrasse, on rit à mi‑voix. La cuisine se gorge de l’odeur noire, brûlante du café. Et puis lui, sans y penser, répond : Moi, un café au lait. Un rien, une infime bascule. Et soudain, toute la pièce change d’air : ce voile de lait rallume les matins d’autrefois : les réveils à Alger, la silhouette maternelle penchée sur la gazinière, la fleur d’oranger qui s’élève avec la vapeur, le lait qu’elle fait monter avec patience. Bakhta est un hommage d’un fils à sa mère, Dahmane Ouafi, fondateur de la marque Maison Maïssa. Un prénom qui signifie chance pour un amour enchâssé dans un écrin olfactif. La tête s’ouvre en velours : petitgrain, néroli, eau de fleur d’oranger — l’aube sur la peau. Puis arrive le cœur, celui qu’on attend : café chaud, mousse de lait. Enfin, les notes de fond enveloppent : tonka, caramel, vanille, santal Mysore — la tiédeur d’une maison, si proche et si lointaine. Il suffit qu’un seul demande un café au lait pour que la présence d’une mère, même invisible, se rassoie à table. « Fils des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles. »
Notes de tête : Petitgrain, néroli, eau de fleur d’oranger
Notes de cœur : Café, mousse de lait
Notes de fond : Tonka, caramel, vanille, santal Mysore
Maison Maïssa, Bakhta, Extrait, 130 € les 50 ml.
Le Flocon de Johann K — Isabelle Larignon
Les agapes ont pris fin. Avant que chacun ne reprenne sa route, on sort respirer la neige qui tombe, minuscule. Le silence descend, souverain, et l’on avance sur ce tapis ouateux comme sur une page vierge, en enlaçant les arbres. Chaque flocon, en suspens, apparaît tel un fragment d’un ordre venu d’ailleurs, comme si la géométrie du ciel s’essayait à parler. Pour Isabelle Larignon, parfumeuse singulière, tout est parti d’un texte de Johannes Kepler, L’Étrenne ou la neige sexangulaire (1610), où l’astronome cherche un cadeau de Nouvel An « presque rien » pour un ami. Flocon naît de cette intuition : tenter de rendre charnel un signe éphémère. D’abord, une bouffée d’air vif : bergamote, citron, cyclamen, éclat d’une lumière qui entaille le froid. Puis les absolus de mimosa et de narcisse s’ébrouent au milieu de notes fraîches, aqueuses et ozoniques, telle une rafale glissant sur un bassin pris dans la glace, tandis qu’un fil d’encens ouvre une ride d’ombre dans la blancheur — sanctuaire minéral, maître zen immobile sous l’or blanc. Viennent ensuite les aldéhydes : une brûlure claire, métallique, cette neige tassée qui mord et réchauffe à la fois. Et l’on repart, ce minuscule atome de neige sur la peau comme un univers entier qui nous recouvre. Ce Noël en appellera-t-il un autre ?
Notes de tête : Bergamote, citron, cyclamen
Notes de cœur : Cardamome, encens, absolu mimosa, notes aqueuses, ozoniques, mentholées
Notes de fond : Evernyl, musc blanc, absolu narcisse
Isabelle Larignon, Le Flocon de Johann K, Eau de parfum, 130 € les 100 ml.
Anne Bourgeois
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