Le Sud-Finistère, terre d’inspiration. La riviera finistérienne – Concarneau et Pont-Aven, en particulier – fut de longue date un décor prisé des romanciers et peintres. Mais avant de mettre ses pas dans ceux de Simenon et Gauguin, ressourcement conseillé en thalasso. Le gage d’un parcours détendu sous le signe du plaisir.
Tout commence en Finistère, a-t-on coutume de dire. Pour moi, tout a débuté à la thalasso de Concarneau. Elle m’avait concocté un programme de remise en forme aux petits oignons. Ou plutôt aux cristaux de sels marins. Ce sont eux qui tiennent la vedette lors de la séance initiale de gommage. Précieux auxiliaires pour me débarrasser de mes peaux mortes et autoriser l’action des algues et autres huiles de massage des soins suivants. Dans la foulée, je suis badigeonné de fucus, laminaires et lithothamme, au point de ressembler, au terme de l’enveloppement, à E.T. l’extraterrestre ! Certes, je m’étais un brin inquiété au sujet des algues vertes. Mais notre trio destiné à reminéraliser et réhydrater l’organisme, n’a vraiment rien à voir avec ces lointaines cousines, toxiques, qui ont défrayé la chronique du côté de Saint-Brieuc.
Rasséréné, je peux aborder un premier temps fort de mon programme de cocooning, le modelage thaï. Sabine, experte de ce massage traditionnel, en explique la philosophie. « À chaque méridien de notre corps correspond un organe. En exerçant des pressions à bon escient sur des points situés le long de ces lignes, je vais libérer des énergies, ici du foie, là des reins, etc. » Je m’en remets à la licenciée ès acupressure. Elle m’enduit le corps d’huile chaude avant d’alterner appuis des doigts et étirements propices à la détente musculaire. Les tensions sont si bien relâchées qu’une heure plus tard, je me sens gagné par une douce somnolence…
Le Sud-Finistère, terre d’inspiration
Voyage des sens à la thalasso de Concarneau
Verre de tisane à la main, je décide de m’ébrouer en me familiarisant avec les modernes installations. Direction le spa marin attenant qui ouvre sur la mer grâce à de larges baies vitrées. Dans le public, le lot classique de seniors voisine avec plusieurs jeunes couples. « Nous apprécions les lieux, nous dit l’un d’eux, car c’est une thalasso sans chichi, moins médicale que d’autres, où l’on vient pour se faire plaisir. » Bel éloge. Côté activités, il y a, ici, l’embarras du choix : reposant, en se lovant dans les transats à bulles ; stimulant, en marchant dans la petite piscine à contre-courant ; sportif, en suivant les cours d’aquagym ; revigorant, en optant pour les puissants jets d’eau en cols de cygne qui vous malaxent les épaules. Au terme d’un tel parcours aquatique, pause méritée au sauna, ou au hammam si vous préférez.
La sieste passée, le programme de revitalisation se poursuit. Au tour du ventre, puis du visage d’être à l’honneur. Depuis la publication du bestseller de Giulia Enders, « Le charme discret de l’intestin », plus question de délaisser notre deuxième cerveau. C’est Gwenola qui pratique le modelage détox sur le ventre, « siège de nos émotions ». Elle appuie résolument sur le nombril. « Oui, car c’est le lieu des tensions originelles ». Comme pour assurer la connexion, je poursuis par un massage crânien et des soins du visage qui apportent calme et sérénité.
Je tiens à féliciter la directrice Caroline Mahé-Léa pour cet échantillon très complet de soins. « Ce que vous n’avez pas encore deviné, sourit-elle, c’est qu’à la demande d’une partie de notre clientèle, notre thalasso s’est ouverte sur l’extérieur. » « Aussi, poursuit-elle, nous avons mis au point un modelage intitulé « Balade à Concarneau ». Ce sera votre dernier test. Un lâcher prise poétique et une initiation à votre découverte de la ville. » Jolie transition, en effet. Le modelage relaxant a des allures de ballade musicale et sensorielle. Sans compter que la thalasso propose également aux hôtes qui le souhaitent une « évasion bretonne », une balade en 2 CV avec un guide conférencier de l’agence locale Alex & Galipette.
Concarneau sous le signe de Simenon
Au sortir de la thalasso s’étire la longue plage des Sables-Blancs. Pas besoin d’enquêter longtemps pour repérer la villa Ker-Jean, qui surplombe la plage et où résida Georges Simenon à l’hiver 1930/1931. Séjour studieux s’il en est. L’écrivain devait honorer les commandes et avances reçues de son éditeur, l’inflexible Arthème Fayard.
Alors, Georges Simenon s’enferme dans la villa trois mois durant. Il installe sa machine à écrire et sa table de travail face à la fenêtre. Visiblement, le paysage marin l’inspire. « Il ne dort presque pas, raconte son biographe, Pierre Assouline. Il boit plus qu’à l’accoutumée. Onze heures d’affilée, il écrit des romans populaires à la moyenne de 80 pages par jour. » Pour autant, le forçat de l’écriture n’en oublie pas son cher commissaire Maigret dont il a commencé à narrer les aventures. Son image le hante même. Évoquant son séjour à Concarneau, il confie à son ami Carlo Rim : « Maigret vivait en moi, je le voyais comme un personnage de chair, je connaissais le son de sa voix, l’odeur de son vieux chandail, jusqu’à la pointure de ses souliers. Pendant que je turbinais, il était là qui fumait sa pipe, en attendant. Nous avions confiance tous les deux. »
Confiance justifiée. Quelques mois plus tard, en avril 1931, Georges Simenon publie « Le chien jaune », dont il situe l’intrigue dans le port breton. Le commissaire Maigret adopte même le Grand Hôtel au point d’en faire son QG, le temps d’élucider une mystérieuse série de meurtres. Dans le roman, il le rebaptise hôtel de l’Amiral. La réalité a rejoint la fiction et ce nom lui est resté. L’actuel hôtel-restaurant de l’Amiral propose bien sûr à ses clients un « menu Simenon », mais sans entretenir l’atmosphère d’antan.
Pour ce faire, mieux vaut se tourner vers le journaliste Jean-Paul Ollivier. Plus connu pour les commentaires éclairés qu’il délivrait sur les régions traversées par le Tour de France lorsqu’il officiait sur France 2, Jean-Paul Ollivier, natif du cru, a rédigé une brochure de référence : « Concarneau et l’univers de Georges Simenon », rehaussé d’une riche iconographie. Il reprend les passages du « Chien jaune » qui restituent le mieux l’atmosphère du roman. Ainsi, « Quai de l’Aiguillon, il n’y a pas une lumière. Tout est fermé. Tout le monde dort. Seules les trois fenêtres de l’hôtel de l’Amiral, à l’angle de la place et du quai sont encore éclairées… Dans le bassin, un caboteur qui, l’après-midi, est venu se mettre à l’abri. Personne sur le pont. Les poulies grincent et un foc mal cargué claque au vent. Puis, il y a le vacarme continu du ressac, un déclic à l’horloge, qui va sonner onze heures… »
Ouvertures sur la Ville-Close
Plus loin, le commissaire s’aventure dans le cœur historique de la ville. « Maigret traversa le pont-levis, franchit la ligne des remparts, s’engagea dans une rue irrégulière et mal éclairée. Ce que les Concarnois appellent la Ville close, c’est-à-dire le vieux quartier entouré de murailles, est une des parties les plus populeuses de la cité. »
À notre tour, en compagnie d’Anne, guide locale, nous pénétrons dans la cité médiévale ceinte de murs fortifiés en granit. Dès l’entrée, un musée de la pêche expose de nombreuses maquettes de chalutiers et thoniers, hommage à une activité phare de la ville. Trois conserveries contre 32 au début du XXe siècle entretiennent la mémoire de ce passé faste. Mais une centaine de navires de pêche restent immatriculés à Concarneau et au travers des ouvertures ménagées dans les remparts, on en aperçoit quelques uns amarrés près du bâtiment qui abrite la moderne criée.
Non loin, une longère en pierres du 18e siècle sert désormais de refuge gourmand et de temple du kouign amann, typique gâteau breton. Au détour d’une rue, Anne nous signale l’atelier de Léon Piriou, brocanteur et taxidermiste. « Selon la légende, ajoute-t-elle, Georges Simenon aurait vu dans la vitrine de la boutique un clebs empaillé au pelage ocre clair. D’où le titre, « Le chien jaune ». »
On échappe un bref moment à l’univers du romancier en grimpant sur les remparts. En contrebas, on aperçoit une maison en crépi rose qui détonne dans le paysage. « C’est aujourd’hui une auberge de jeunesse. Mais ce fut hier l’ancien abri des marins, renseigne Anne. Il a été créé par Jacques de Thézac au début du XXe siècle. C’était un refuge prisé des marins-pêcheurs. Le philanthrope en a fondé une douzaine dans la région. » Ce monde des pêcheurs, dont une famille est accablée par un homicide involontaire, formera la toile de fond d’un autre roman de Simenon, publié en 1936, « Les demoiselles de Concarneau ».
Depuis cette époque, la pimpante cité de quelque 20 000 habitants a trouvé un nouvel équilibre entre pêche, nautisme, chantiers navals… thalasso et tourisme. Il n’empêche, le polar est toujours d’actualité. Maigret a trouvé un successeur en la personne du commissaire Dupin, policier à Concarneau. L’auteur, qui publie sous le nom de plume de Jean-Luc Bannalec, est en fait un éditeur allemand, Jörg Bong, passionné par la Bretagne. Et il entraîne dans son sillage – à Concarneau et dans les environs – de nombreux visiteurs d’Outre-Rhin.
Pont-Aven, cité des peintres
En moins d’une demi-heure de route, on rejoint Pont-Aven, autre cité-carrefour. Elle a su séduire, elle aussi, un public étranger, des peintres américains tout d’abord. Ils tombent sous le charme des lieux, suite à l’ouverture en 1862 de la ligne de chemin de fer jusqu’à Quimperlé et du relais d’une diligence. Parmi les pionniers, Henry Bacon et Robert Wylie. À leurs yeux, paysages et nuances de lumières deviennent autant de motifs de tableau. Ils vantent aussi l’hospitalité des habitants et des aubergistes. Ils sont bientôt rejoints par des artistes britanniques, nordiques… et français, dont Paul Gauguin. Celui qui deviendra le fondateur de l’École de Pont-Aven effectuera cinq séjours à Pont-Aven entre 1886 et 1894. Ses innovations picturales et son cri de ralliement – « Osez la couleur ! » ont fait converger adeptes et curieux vers ce coin préservé de Bretagne.
Aujourd’hui encore, la cité des peintres vit à l’heure des pèlerinages. Le long des rives de l’Aven bordées de moulins, un circuit Paul Gauguin indique les endroits peints par l’artiste, comme « Les lavandières à Pont-Aven ». Dans les rues du village, on salue l’ancien hôtel Julia et la pension de « la mère Gloanec » (aujourd’hui transformée en Maison de la presse), qui furent hier les refuges des peintres. Les tenancières faisaient souvent crédit et acceptaient même les paiements en tableaux de créateurs sans-le-sou.
On pousse la déambulation jusqu’au Bois d’amour et à la surprenante chapelle de Trémalo, sur les hauteurs. Sous la voûte en forme de coque de bateau trône la sculpture en bois polychrome du XVIIe siècle représentant le Christ en croix. C’est elle qui inspira à Gauguin son célèbre « Christ jaune », peint à l’automne 1889.
Point d’orgue de la promenade artistique, le musée de Pont d’Aven. Dans son nouvel et élégant écrin, il retrace l’aventure de l’École de Pont-Aven, le petit cénacle de disciples – Emile Bernard, Paul Sérusier,…- qui entourait Paul Gauguin. Plusieurs salles sont consacrées aux œuvres du maître. On y découvre des zincographies, le pastel « Deux têtes de Bretonnes » ou encore « Un village breton sous la neige ». On y décrit de manière pédagogique les apports impressionnistes, le passage au synthétisme, la naissance du mouvement des Nabis ou encore l’influence du japonisme. La toile d’un admirateur, Pierre Girieud, prête à sourire. Sa composition « Hommage à Gauguin », peinte en 1906, inspirée de la Cène, montre Gauguin partageant un repas avec ses « apôtres » et des Tahitiennes lascives. Clin d’œil peut-être à son dernier séjour à Pont-Aven en compagnie de sa jeune maîtresse métisse et de son singe Taoa. Les insultes proférées contre sa « négresse », Annah la Javanaise, déclenchèrent une bagarre. L’incident, soldé par une jambe cassée, incita Gauguin à retrouver les douceurs polynésiennes…
Yves Hardy
Photos : Yves Hardy, Thalasso Concarneau et Finistère tourisme.
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Infos
° Y aller. En TGV. Paris-Rosporden en 3h30, puis car ou taxi jusqu’à Concarneau
° Y séjourner. Thalasso Concarneau Resort. Tél : 02 98 75 05 40.
° Y déjeuner. La Coquille : 1, rue du Moros à Concarneau (pour ses huîtres et langoustines). Tél : 02 98 97 08 52. Et Le Domaine, le restaurant de la Thalasso, pour les plats bretons imaginatifs de son chef Cyril Le Rest, comme le cabillaud cuit sur galet, fumé aux aiguilles de pin maritime. Tél : 02 98 10 90 54.
° À voir. Le musée de Pont-Aven. Tél 02 98 06 14 43
° Cadeaux. Ramener quelques boîtes de sardines de la conserverie Gonidec (Concarneau) et les incontournables galettes de Pont-Aven de la Maison Traou Mad, de la Biscuiterie Penven ou de l’Atelier de la galette.
° À lire. « Simenon » par Pierre Assouline (Folio, 1060 pages, 1996, 24,50 €) ; « Concarneau et l’univers de Georges Simenon », par Jean-Paul Ollivier (Ed. du Palémon, 2006, 50 pages) ; « Le nouveau musée de Pont-Aven. Un écrin pour Gauguin et l’École de Pont-Aven (L’Objet d’Art, 2016, 68 pages, 9,50 €) et « L’École de Pont-Aven, berceau de la modernité (5 continents éditions, 2018, 80 pages, 28 €).
° Guides. Bretagne Sud (Géoguide, Gallimard, 2017 14,90 €) et Bretagne (Petit Futé, 2018, 9,95 €).
° Renseignements. Finistère tourisme à Quimper.
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