Une croisière autour de la cité des Doges est l’occasion de se perdre avec bonheur dans le labyrinthe des canaux et ruelles de la Sérénissime, mais aussi de découvrir ces éclats de Venise – Burano, Murano ou Chioggia – dispersés dans la lagune. Embarquement immédiat.
Venise
Sa beauté toujours étincelle. Comment ne pas s’extasier lorsque l’on découvre au fil du Grand Canal l’alignement des palais aux façades ouvragées ? Un vrai musée vivant à ciel ouvert. On en oublierait presque la cohorte de visiteurs lorsque l’on déambule, émerveillé, de la place Saint-Marc au bien nommé phénix des lieux, le théâtre de la Fenice, reconstruit à l’identique à deux reprises suite à des incendies.
Mais rien ne vaut le plaisir d’une déambulation dans le dédale des ruelles et des méandres aquatiques. Ici, on tombe en arrêt devant deux statues de lions improbables, ramenés de Grèce et qui gardent l’entrée de l’Arsenal. Le temps d’enjamber quelques canaux et une profusion d’églises comme celle de Santi Giovanni e Paolo, belle expression du gothique sacré, s’offrent au regard. Là, des gondoles à la proue relevée glissent imperturbables sous le pont des Soupirs sans une pensée pour ces condamnés d’antan transitant du palais des Doges à la prison voisine. Plus loin, des grappes de visiteurs sont massées sur le Rialto, pont à arche unique en marbre. À l’écart du brouhaha ambiant, un pêcheur s’est tranquillement installé sur les quais, à l’ombre de la basilique de la Salute, tandis que dès l’aube, un peintre croque les légendaires gondoles émergeant de la brume matinale.
Masques et pieux
Arrêt chez Carlo Marega qui perpétue dans son atelier la tradition des masques vénitiens. Tout en confectionnant un moule d’argile, réceptacle de morceaux de papier mâché méticuleusement disposés, l’artisan revient sur l’histoire du carnaval. «Au Moyen Âge, raconte-t-il, c’était le moment rare où les classes sociales se mélangeaient et bravaient les interdits. Encore fallait-il échapper à la surveillance de l’église toute puissante. D’où la nécessité de ne pas être reconnu… et la naissance des masques. ». Sur les murs de l’atelier sont exposés de riches échantillons de sa collection. L’un des déguisements détonne, il se prolonge d’un long bec d’oiseau. «Celui-ci, explique-t-il, ne participait pas aux réjouissances, il était utilisé par les médecins d’antan pour se protéger de la peste».
Pause dans une trattoria typique. Attablé, les pieds dans l’eau, on ressent mieux la beauté fragile de cette ville lacustre. Car on l’oublie parfois, cette cité fastueuse, posée entre ciel et mer, tient en équilibre sur des milliers de bouts de bois immergés. Paul Morand s’en amusait : «Comme une vieille sur ses béquilles, Venise s’appuie sur une forêt de pieux» (Venises, 1971). Certes, ces soubassements subsistent depuis des siècles, mais ils sont régulièrement secoués par les acqua alte, les hautes marées. Durant ces périodes, les touristes circulent sur des passerelles surélevées. Tous les Anciens, dont notre restaurateur, se souviennent de la catastrophe du 5 novembre 1966. «Voici cinquante ans, la terrible inondation submergea une partie de la ville. Comme j’étais aux premières loges, je n’y ai pas échappé.»
Dentelles et verreries à Burano et Murano
Escapade dans le vaste bassin de 550 km² où baigne la Sérénissime. Salutations en passant à l’île du Lido, station balnéaire prisée et rendez-vous des cinéphiles lors de la Mostra. Nous voguons vers Burano, l’île aux maisons bariolées, hier réputée pour ses dentellières. Sur l’un des quais de la bourgade, nous croisons une rescapée qui manie encore l’aiguille avec dextérité. «Je suis l’une des dernières, confie-t-elle. Aujourd’hui, la plupart des dentelles sont importées d’Indonésie.» Les maisons, elles, n’ont pas bougé. On dirait que chaque famille a choisi sa couleur de prédilection pour mieux se distinguer du voisinage. Le tout compose un original costume d’Arlequin. Au terme de la promenade, le visiteur n’a qu’une envie : revenir dans cette plaisante cité-kaléidoscope.
Direction Chioggia, ville de pêcheurs. Ici, la circulation des véhicules retrouve ses droits, mais on s’attarde de préférence dans le port où prolifèrent les bragozzi, ces jolies barques de pêche typiques rehaussées de décoration peintes. Un véritable rite local.
Le soir, les fumées du complexe industriel de Port Marghera encombrent le ciel sur la voie du retour à Venise. Manière de rappeler les dangers qui planent sur la cité. D’abord, ces émanations sulfureuses qui, combinées à l’humidité et à la salinité attaquent la pierre des palais. Ensuite, le péril toujours présent de l’engloutissement par une forte marée. Last but not least, le flot touristique croissant qui menace la ville d’une muséification mortifère. Tandis que le nombre d’habitants régresse inexorablement – 180 000 en 1950, 110 000 en 1970, 55 000 aujourd’hui – le flux de touristes explose : 15 millions en 2006, le double dix ans plus tard. Quelques résistants apposent des autocollants sur les murs et des banderoles à leur balcon «No grandi navi», signifiant leur opposition à l’envahissement par les immenses bateaux de croisière. À ce moment, l’un de ces géants des mers fait une irruption triomphale à coups de sirène dans la lagune. Alors, profitons quand il est encore temps des charmes de «la ville éternelle»…
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Infos pratiques
° Y aller. Croisière de 5 jours à Venise et dans la lagune à bord du «Michelangelo», bateau à taille humaine (78 cabines) de «CroisiEurope ». À partir de 509 € (vols et excursions en sus). Tél : 0825 333 777.
° À lire. «Venise. Itinéraires avec Corto Maltese », par Hugo Pratt (Lonely Planet, 15 €) et les diverses enquêtes du commissaire Brunetti en Vénétie. Par Donna Leon (Points, policier).
° Guides Venise. Celui richement illustré de «L’Encyclopédie du Voyage» (Gallimard, 27,50 €) et celui très documenté de Jean-Michel Brèque (Ed. PUF/Clio, 26 €).
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Texte et photos © Yves Hardy
2 commentaires
Superbe article, et magnifique ville !