À 52 ans, Carole Garcia est une quinqua libérée, délivrée et farouchement indépendante. Forte de son héritage occitan, elle redonne vie au pastel, cette plante historique qui fit autrefois la richesse de Toulouse, relancée par Napoléon Ier et qu’elle a transformée en un trésor cosmétique avec sa marque biologique Graine de Pastel.
Consul honoraire, cheffe d’entreprise, exploitante agricole, l’ombre de Napoléon semble planer à chaque étape de sa vie. Mais ici, on parle d’une Napoléon au féminin, sans regard sévère, portée par une énergie qui semble inépuisable. Rencontre.
Comment avez-vous découvert le pastel et pris conscience de sa valeur patrimoniale ?
Carole Garcia : Ma passion pour le pastel remonte à mon enfance, inspirée par mon grand-père instituteur qui me racontait comment cette plante avait autrefois enrichi Toulouse, donnant naissance au célèbre « pays de Cocagne » en référence à la coque de pastel séchée. Malgré son déclin face à l’indigo asiatique dès la Renaissance, et même s’il a été relancé par Napoléon pour teindre les uniformes des soldats, le pastel a quasiment disparu dans les années 1980. Mais il est resté pour moi un symbole de patrimoine. J’ai cherché à en savoir plus, accumulant des livres et découvrant notamment une thèse sur l’huile de pastel réalisée au début des années 1980 à la faculté des sciences de Toulouse. Bien que je sois issue d’une famille de scientifiques, mon parcours m’a finalement ramenée à cette passion pour le pastel et son histoire.
Qu’est-ce qui vous a attirée dans le monde de la cosmétique ?
J’ai toujours été passionnée par les parfums et la cosmétique. Je suis un bébé Mustela. D’ailleurs, les odeurs des produits Graines de Pastel s’en inspirent. Quand les clientes sentent les produits, elles nous disent que cela les transporte instantanément chez leur grand-mère, dans un voyage dans le temps. Une bulle se crée grâce au parfum.
Comment cette passion s’est-elle transformée en carrière ?
J’ai fait mes premiers stages dans le domaine de la cosmétique, et depuis, je n’ai jamais quitté cet univers. J’ai débuté ma carrière dans l’industrie pharmaceutique et à 30 ans, après huit ans chez Pierre Fabre, j’ai décidé de fonder ma propre entreprise autour du pastel. Mon objectif était de créer une marque régionale, ancrée dans son histoire, mais sans tomber dans un artisanat de petite échelle. J’avais envie de structurer une véritable industrie, sérieuse et transparente, en fabriquant localement et en contrôlant rigoureusement la qualité. Au départ, nous étions deux, puis trois à partir de la deuxième année, et nous travaillions depuis chez moi. Nous avons rapidement sous-traité la production à des laboratoires répondant aux normes sanitaires, tout en gardant la recherche, le développement, le marketing, et la gestion des achats en interne. Aujourd’hui, la production est assurée par des prestataires locaux avec qui nous collaborons depuis plus de vingt ans.
Quelles valeurs ont guidé la fondation de votre entreprise autour du pastel ?
Nos valeurs sont claires : produire localement, être transparent et éviter les promesses irréalistes de certaines marques cosmétiques qui promettent de transformer la vie. Ma vision de la beauté privilégie une routine simple et sensée, alliant efficacité et bienveillance avec des ingrédients locaux. Pour moi, la cosmétique est un moment pour soi, une parenthèse de sérénité.
Pour moi, la cosmétique est un moment pour soi, une parenthèse de sérénité
Nous avons misé sur la qualité et l’intégrité, en maîtrisant chaque étape de production. Dès le départ, nous avons adopté une approche industrielle, avec un contrôle rigoureux, un investissement conséquent et des partenariats avec des laboratoires comme avec l’Institut National des Huiles Techniques de Toulouse pour l’extraction des protéines, ce qui nous a permis d’innover avec rigueur scientifique et brevets à l’appui.
Quels ont été les premiers retours des consommatrices ?
La première fois que j’ai déposé nos produits dans un point de vente, alors que je venais de finir de les installer, une dame s’est approchée, a acheté un savon et est partie. Je l’ai alors arrêtée pour lui demander ce qui lui avait plu dans notre savon. Elle m’a répondu : « Ah, mais le pastel, je connais ! Ma grand-mère utilisait ce savon, je l’adore donc je l’achète. » Sur le moment, cela m’a surprise. Mais en y réfléchissant, j’ai compris que le pastel faisait déjà partie de l’imaginaire collectif, un patrimoine hérité des siècles passés, bien avant que nous ne parlions de l’efficacité actuelle du produit.
Pourquoi avoir passé votre bac agricole à 52 ans ?
Ce sont les agriculteurs qui m’ont poussé à passer mon bac agricole. J’ai passé des heures à étudier la biologie, la culture du blé, et d’autres aspects de l’agriculture, tout en me rendant régulièrement sur les champs pour mieux comprendre ce monde. Je voulais devenir totalement souveraine sur notre plante. Les gens plaisantaient en me surnommant « la Napoléon du pastel », mais il y a un vrai engagement derrière. Pour moi, c’est un sacerdoce ; rester fidèle à des valeurs éthiques tout en gérant une entreprise n’est pas facile. Pour assurer notre autonomie, j’ai récemment acquis 60 hectares de terres dans le Gers, où nous cultivons du pastel en rotation avec d’autres cultures, comme le blé et les pois chiches. Cette initiative est née de la prise de conscience de la fragilité des chaînes d’approvisionnement, notamment en période de crise. Ce lien avec la terre m’a offert une perspective plus philosophique sur le cycle de la vie.
Comment êtes-vous perçue en tant qu’exploitante agricole ?
Je me rappelle qu’au début, il me fallait toujours prouver que j’avais ma place, comme si mon genre et mon apparence allaient à l’encontre des compétences que je pouvais apporter. J’adorais arriver dans les champs en décapotable, en talons hauts et avec mon chapeau. Cela faisait partie de mon style, de mon affirmation de moi-même. Mais je voyais bien dans les regards, ce mélange de curiosité et de jugement. On se disait sans doute : « Que vient faire cette femme ici ? Ce n’est pas son monde. » Pourtant, ce sont ces moments-là qui m’ont motivée à montrer que, malgré les apparences, j’avais une véritable légitimité. Cela m’a appris à ne pas renoncer à qui je suis, à ne pas rentrer dans les cases dans lesquelles les autres voudraient me mettre.
Comme Napoléon, vous êtes consul honoraire pour Monaco. Pourquoi ?
La préfecture a proposé mon dossier il y a dix ans pour devenir consul de Monaco en Occitanie. Mon objectif est de promouvoir la principauté dans les domaines culturels et économiques, en lien avec l’ambassadeur. À l’époque, mon mandat à la chambre de commerce a certainement pesé en faveur de ma nomination. Désormais, en tant que chef de file des consuls d’Occitanie, j’organise régulièrement des rencontres avec les représentants judiciaires, administratifs et d’autres autorités et je coordonne les échanges entre nos consuls et les autorités locales afin de renforcer les liens bilatéraux entre la principauté et la région. Cela me permet de perpétuer la mise en valeur de notre magnifique patrimoine.
Comment votre marque parvient-elle à trouver un équilibre entre l’engagement écologique et les attentes de vos clientes, qui souhaitent éviter un discours trop « dogmatique » ?
Ce que je remarque, c’est le paradoxe chez nos clientes, majoritairement des femmes de cinquante ans, entre le désir de soins naturels et l’exigence d’efficacité visible. Elles souhaitent rester fidèles à leurs convictions écologiques tout en bénéficiant des avancées esthétiques. Elles veulent éviter une approche trop stricte de l’écologie, qu’elles associent parfois à un certain dogmatisme, que j’appelle « le Khmer vert ». Pour les quinquagénaires, cet équilibre entre naturel, efficacité et éthique est essentiel.
Pour les quinquagénaires, cet équilibre entre naturel, efficacité et éthique est essentiel
Nous leur proposons en boutique un diagnostic de peau personnalisé, réalisé par des conseillères qualifiées, qui orientent chaque cliente vers les produits adaptés à ses besoins. Ce contact humain est essentiel, surtout dans un monde où l’on manque souvent de conseils sincères et approfondis en cosmétique.
Vos prochains projets ?
Pour la marque, ils s’orientent vers le développement de soins spécialement conçus pour répondre aux besoins de la peau entre 50 et 60 ans, une période de la vie où les besoins évoluent et où l’on recherche des soins qui apportent des résultats visibles, tout en étant doux et réconfortants. Dans notre nouvel espace, nous proposerons une gamme élargie de services, avec notamment une section de soins express et des soins en cabine, adaptés aux différentes humeurs et besoins des clients. Ce sera une offre plus complète que celle que nous proposons actuellement. J’ai voulu intégrer dans cette nouvelle boutique des appareils utilisant des technologies avancées, comme le plasma, les LED et la micro dermabrasion, qui travaillent en profondeur sur la peau. Ce sont des méthodes qui respectent l’épiderme tout en apportant des résultats, offrant une alternative intéressante à la chirurgie esthétique, au botox ou aux injections.
Comment abordez-vous votre cinquantaine ?
La cinquantaine, c’est l’âge où j’ai acquis ce que j’appelle mes « super-pouvoirs » : une indépendance affirmée, une autonomie profonde, et une harmonie intime avec moi-même, fruits d’expériences parfois ardues. Aujourd’hui, je me sens libre, en paix avec mes choix, et détachée des attentes d’autrui. Ma curiosité et mon besoin de transmettre demeurent intacts, m’ouvrant encore aux découvertes, aux rencontres, à la transmission, essentielles à mes yeux. Je refuse les étiquettes et les catégories, préférant rester en mouvement, fidèle à mes valeurs. Cette quête ininterrompue de sens, loin des stéréotypes, est pour moi la vraie réussite. Plus jeune, il me fallait toujours prouver que j’avais ma place, comme si mon genre et mon apparence allaient à l’encontre des compétences que je pouvais apporter. C’est paradoxal, mais en étant moins en quête d’approbation, on devient plus rassurant pour les autres. Ils perçoivent cette force, cette solidité qui émane de quelqu’un qui a fait la paix avec lui-même.
Anne Bourgeois