Dans Ménopauses, quand les femmes en parlent diffusé sur Arte, la réalisatrice Julie Talon brise le silence autour d’une étape de nos vies trop souvent ignorée ou caricaturée. Douze femmes, avec courage, et ironie dévoilent leurs bouleversements intimes : corps transformés, désirs chamboulés, injonctions sociales écrasantes. Mais, derrière la douleur, l’invisibilité et la solitude, surgit une puissance insoupçonnée, celle de se réinventer et de revendiquer leur liberté.
« Mesdames, vous n’êtes pas toujours très détendues » : le regard acerbe sur la ménopause
« La peau a tendance à se dessécher et à se rider plus facilement. Parfois, ils poussent certains poils, malencontreux. Les cheveux ont tendance à se clairsemer. Bref, la femme essaie de ressembler à ce moment-là à l’homme. » ou alors « Et d’autre part, il y a un phénomène également d’irritabilité. Autrement dit, il faut reconnaître que durant cette période, mesdames, vous n’êtes pas toujours très détendues. » Ces voix masculines, extraites d’archives, ouvrent le documentaire de Julie Talon. Brutales, condescendantes, elles résument une vision archaïque et méprisante de la ménopause, souvent perçue comme une déchéance inéluctable. Les témoignages des femmes interviewées résonnent comme un électrochoc, révélant une violence envers le féminin enracinée dans l’histoire, tel un héritage insidieux qui remonte à la nuit des temps.
Une traversée tumultueuse
Certes universelle, mais terriblement solitaire, la ménopause bouscule chaque femme différemment. Tantôt accalmie, tantôt tempête, elle fracasse les certitudes et expose une violence intérieure que le silence collectif ne fait qu’aggraver. « Je monte à plus de cinquante bouffées de chaleur par jour », confie une femme ventilateur à la main. « C’est handicapant. Je dors une heure, puis je me réveille pour boire ou aller aux toilettes. Et après, on me demande pourquoi je veux taper tout le monde ! ».
Insomnies, irritabilité, prise de poids, douleurs invisibles : les symptômes varient, mais la société impose un mot d’ordre commun. « Mes collègues se cachent dans les toilettes pour s’éponger, mais elles refusent d’en parler », explique une infirmière. « On traverse cette période comme sur un petit bateau, dans une immense solitude. »
« Mon gros cul est politique »
Pour beaucoup, la ménopause bouleverse l’image qu’elles ont de leur corps. « Mon ventre, avant tout plat, est devenu une bouée. Mes fesses ont disparu, tout s’est déplacé autour de mon nombril. C’est un désastre. » Ces changements sont d’autant plus douloureux qu’ils semblent confirmer les clichés entendus dans les archives masculines. « Je vois des poils pousser là où ils ne devraient pas, mes cheveux tombent, ma peau se ride. J’ai l’impression de devenir un homme. » Pour certaines, cette transformation devient un acte militant. « Mon gros cul est politique », déclare Chloé, une femme tatouée et rebelle. « Voilà, une femme de 53 ans, c’est comme ça. Et si ça ne te plaît pas, tant pis. »
Sexualité et ménopause : Où sont les hommes ?
La ménopause redéfinit aussi les contours de la sexualité féminine, entre un désir en berne, une mue du corps et une nouvelle perception de soi. Parfois, le regard des hommes, qui ont longtemps défini leurs attentes, devient insupportable. Cette fracture, à la fois intime et sociale, marque une transition : celle d’une sexualité imposée à une exploration personnelle, libérée des considérations extérieures. « Je suis contente de dormir seule. Je n’aimerais pas qu’un homme me voie transpirer, rouge de colère et oppressée.».
Pour certaines, le désir s’éteint progressivement, laissant place à un détachement : « Je dis que je suis en jachère. Je regarde des hommes comme on regarde un beau papier peint : c’est joli, mais je n’ai pas envie de le toucher. » Pour d’autres, la ménopause est aussi une libération imprévue. Les injonctions de performance, souvent intériorisées, s’effacent pour se recentrer sur soi-même. « Pendant des années, ma sexualité était un exploit. Je faisais ce qu’on attendait de moi. Aujourd’hui, je pense à moi. Et ça, c’est une grande victoire. »
La face cachée d’une médecine expéditive
La ménopause est aussi synonyme de perte. « Je n’ai pas été préparée au deuil de ma fertilité », confie une femme, émue. Ce deuil, souvent passé sous silence, est vécu comme une fracture. Mais c’est la violence médicale qui blesse le plus. « J’ai consulté un gynécologue réputé. Il ne m’a gardée que cinq minutes, a regardé mes résultats et m’a dit : « Vous êtes ménopausée, il n’y aura pas d’autres enfants. Revenez dans deux ans, je vous donnerai un traitement pour l’ostéoporose. » Puis, il a ouvert la porte pour me montrer que c’était terminé. Ça m’a fait l’effet d’une gifle. Pire encore, l’expérience surréaliste de cette femme, qui, en pleine périménopause, s’est vu proposer l’ablation de son utérus comme solution expéditive à ses symptômes. Ébranlée par cette suggestion qu’elle perçoit comme une mutilation, elle s’interroge : proposerait-on une vasectomie à un homme dans une situation similaire ?
Moi, moi et moi…
Malgré tout, beaucoup trouvent dans la ménopause une opportunité de réinvention. « Je n’ai plus besoin de me conformer, de plaire. Je peux enfin être moi-même. » Certaines d’entre elles profitent de cette période pour changer d’existence : séparation, reconversion professionnelle, ou exploration de nouveaux horizons. « On nous dit que tout est fini. Mais moi, je dis qu’il me reste encore le meilleur à vivre. » Ces récits, au final, célèbrent une transformation trop souvent réduite au silence. Comme l’exprime l’une d’entre elles : « On ne nous regarde plus ? Tant mieux. Maintenant, je me regarde moi-même. Et ça, c’est une victoire. »
Ménopauses, quand les femmes en parlent de Julie Talon
A revoir sur Arte
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Anne Bourgeois