À moins d’une heure de Paris, l’Eure-et-Loir déploie un paysage de plaines blondes, de haies bocagères et de forêts où percent quelques clochers. Une campagne sereine, de champs cultivés, rythmée par les saisons et les moissons. Les routes y mènent à des demeures d’artistes, des châteaux royaux, des villages littéraires. Une terre d’inspiration où se croisent, entre autres, Vlaminck, Madame de Maintenon, Marcel Proust.
Le temps d’un week-end, cette flânerie culturelle mène à la découverte d’un territoire qui cultive l’art de vivre… et celui du souvenir.
Maison de Vlaminck à Rueil-la-Gadelière : dans l’antre du fauve
Dans le petit village de Rueil-la-Gadelière, entouré de vallons boisés et de chemins bordés de haies, se cache un lieu vibrant d’histoire artistique : la Maison de Maurice de Vlaminck.
Le peintre, compagnon de route de Derain et de Matisse, y a vécu et travaillé près de quarante ans. Et la magie, aujourd’hui est que rien n’a été changé depuis sa mort.
La demeure, restée dans son jus, évoque parfaitement la personnalité de l’artiste : atelier baigné de lumière, chevalets, toiles et palettes encore tachées de pigments, bibliothèque aux reliures usées, et une étonnante collection d’objets de pêche — sa seconde passion. Frédérique Girondeau, son arrière- petite fille avec son époux Pascal sont les gardiens du temple. Frédérique guide les visiteurs avec tant de chaleur qu’on s’attend à croiser l’ailleul d’un moment à l’autre. Il aimait avoir sa maison pleine. Ses héritiers poursuivent la tradition allant même jusqu’à vous inviter à prendre un verre dans la cuisine. Une cuisine authentique à l’ancienne qui, à partir de novembre 2025 va même permettre, sur réservation, d’y bénéficier d’un repas concocté par un cuisinier sur la cuisinière d’époque.
Dans cette maison, se ressent la présence presque physique du peintre, solitaire et entier, qui voyait dans les paysages de l’Eure-et-Loir une beauté rude, sincère et sans artifice.
Château de Maintenon : la splendeur d’une femme ambitieuse
Entre Chartres et Rambouillet, le Château de Maintenon se dresse dans un décor de contes, reflet d’un destin hors du commun : celui de Madame de Maintenon qui fut initialement gouvernante des « bâtards » du roi et de Madame de Montespan, puis épouse secrète de Louis XIV. Derrière ses façades mêlant brique et pierre, les salons richement décorés racontent son ascension : boiseries sculptées, portraits royaux, tapisseries d’Aubusson, bibliothèque intime… On imagine la favorite du Roi Soleil écrivant ses lettres ou recevant discrètement les visiteurs de la Cour.
Le parc, dessiné par Le Nôtre, ouvre sur l’impressionnant aqueduc de Vauban, vestige d’un projet pharaonique visant à acheminer les eaux de l’Eure jusqu’à Versailles. Une balade entre beauté classique et grand dessein inachevé.
Maison Picassiette à Chartres : le rêve en tessons de faïence
À quelques minutes du centre historique de Chartres, la Maison Picassiette est un lieu unique au monde qui vaut absolument d’être découvert. Raymond Isidore, simple employé de la voirie, y a consacré sa modeste vie à recouvrir chaque centimètre de sa maison, du sol au plafond, meubles inclus de mosaïques faites de vaisselle cassée ramassée au gré de ses balades.
Le résultat : une explosion de couleurs, de symboles et de poésie populaire. Dans le salon, des scènes bibliques côtoient des oiseaux multicolores ; dans la chapelle, un Christ naïf scintille sous les éclats de verre ; dans le jardin, les allées pavées de tessons forment un labyrinthe de rêves.
Surnommé « Picassiette » pour sa manie de “piquer des assiettes”, Isidore a bâti ici un chef-d’œuvre d’art brut, reconnu Monument Historique et précurseur des architectures imaginaires à la manière du Facteur Cheval. Un moment suspendu entre ferveur, folie douce et poésie.
Villa Charpentier à Chassant : une élégance moderniste au cœur du Perche
À Chassant, la Villa Charpentier offre un contraste saisissant : cette demeure des années 1930, posée dans un écrin de verdure, allie sobriété Art déco et modernisme raffiné. L’occasion d’admirer des dizaines de sculptures de Charpentier mais aussi le train de vie de la maison qui abrite, dans la salle à manger, une cheminée sculptée monumentale.
De larges baies vitrées ouvrent sur le parc, inondant de lumière les pièces à la décoration d’origine : mobilier géométrique, ferronneries délicates, parquet à chevrons, vitraux stylisés.
Conçue pour un couple d’industriels avant-gardistes, la villa semble figée dans son époque — un précieux témoin de l’élégance française d’avant-guerre, empreint d’une sérénité presque méditative. A visiter en présence de Daniel Bacchi, arrière-arrière petit-fils du sculpteur qui reçoit en chapeau melon et montre de gousset dans la poche d’un gilet belle époque (se renseigner sur les jours d’ouverture qui sont d’environ un week-end sur deux)
Illiers-Combray : dans le sillage de Proust et de sa « madeleine »
Illiers-Combray, village paisible au bord du Loir, est aujourd’hui indissociable de Marcel Proust. C’est ici, dans la maison de son oncle et de sa tante du côté paternel, qu’il puisa, en partie, la matière de son œuvre majeure.
Même si le jeune Marcel n’y a pas séjourné souvent, la Maison de tante Léonie (qui en réalité se nommait Elisabeth), récemment rouverte après plusieurs années de restauration, restitue l’atmosphère du XIXᵉ siècle avec émotion : meubles de famille, papier peint à motifs, verrières anciennes, objets du quotidien… Tout, aussi bien que le parc du Pré Catelan au bout du village, évoque la douce torpeur provinciale immortalisée dans Du côté de chez Swann.
Une précision amusante vient d’être fraîchement documentée depuis cette fin septembre quand les descendants de l’écrivain ont retrouvé des manuscrits oubliés. la célèbre “madeleine” de tante Léonie— aurait été en réalité et successivement… du pain rassis trempé, puis du pain grillé, puis une biscotte dans du thé ! Un mythe littéraire devenu définitivement madeleine dans la quatrième et dernière version. Voilà qui en dit long sur la puissance de la mémoire et la magie du souvenir. Autour de la maison, le village a su tisser un petit parcours proustien : l’église Saint-Jacques, la rivière du Loir, les promenades où l’écrivain enfant rêvait d’un monde intérieur. Si l’ensemble séduira surtout les vrais passionnés de Proust, le charme du lieu et la quiétude des paysages valent à eux seuls le détour.
Le Collège Royal et Militaire de Thiron-Gardais : noblesse et rigueur
Fondé par Louis XVI en 1776, le Collège Royal et Militaire de Thiron-Gardais est un joyau méconnu de l’histoire éducative française. Ses bâtiments restaurés, nichés dans un parc aux grands tilleuls, abritent aujourd’hui un musée bien intéressant. On y découvre des uniformes, cartes, instruments scientifiques, mais aussi les salles d’étude, dortoirs et réfectoires fidèlement reconstitués. Et les règles de discipline et d’enseignement en vigueur à l’époque. Les boiseries d’origine, les grandes fenêtres ouvrant sur les jardins et le mobilier d’époque plongent le visiteur dans une atmosphère studieuse et solennelle.
Une curiosité : Napoléon Ier s’inspira de ce modèle pour créer sa propre école militaire de Brienne. Une page d’histoire toujours vivante dans le calme percheron. C’est aussi le lieu, dans la maison de l’ex-collège royal qu’à choisi d’acquérir Stéphane Bern.
Une campagne d’art et de mémoire
Des champs de blé dorés aux forêts du Perche, des rivières sinueuses aux villages de pierre blonde, l’Eure-et-Loir incarne une France authentique et paisible, à deux pas de la frénésie parisienne.
Une terre idéale pour un court-séjour ou un week-end de flânerie culturelle, entre patrimoine, art et littérature, où chaque halte révèle une émotion différente — de la rigueur classique de Maintenon à la fantaisie de Picassiette, du modernisme de Charpentier aux souvenirs de Proust. Une escapade à savourer lentement, comme un souvenir d’enfance qui revient se tremper dans le thé.
INFORMATIONS PRATIQUES
L’Eure-et-Loir se situe à la jonction de trois grandes régions françaises :
Centre-Val de Loire, Île-de-France et Normandie, avec un petit voisinage du Pays de la Loire.
- Hôtel Mercure Maintenon** – 1 Rue de la Ferté, Maintenon**
Élégant 4 étoiles au cœur du bourg, avec spa, terrasse et restaurant à la cuisine locale raffinée. - Hôtel Les Aubépines* – Illiers-Combray**
Charmant hôtel à taille humaine, ambiance maison de campagne, service attentionné et belle table régionale. - Le Relais des Carnutes – Brezolles
Cuisine de terroir généreuse dans une auberge conviviale aux pierres apparentes. - La Madeleine – Illiers-Combray
Table gourmande sur la place de l’église : produits frais, assiettes créatives et hommage discret à l’écrivain local.
Lieux culturels / musées
- Maison Maurice de Vlaminck (Rueil-la-Gadelière)
- Villa Charpentier (Chassant)
- Château de Maintenon
- Maison de tante Léonie / Musée Marcel Proust (Illiers-Combray)
- Collège Royal et Militaire (Thiron-Gardais)
Evelyne Dreyfus