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Julie Depardieu, la voix de Juliette Drouet

par Anne Bourgeois

Dans La Misérable, Julie Depardieu prête sa voix et sa chair à la célèbre amante de Victor Hugo, Juliette Drouet. Un seule-en-scène émouvant, qui éclaire, 140 ans après sa disparition, l’ombre d’un amour incandescent.

Pendant une heure et quart, Julie Depardieu déroule la vie de Juliette Drouet, de sa naissance jusqu’à sa mort. Ce qui frappe d’emblée, c’est le refus de la caricature qui a longtemps enfermé la figure de Juliette : celle de la femme soumise, prisonnière du génie, maltraitée et effacée. L’auteure du texte, Catherine Privat, et l’actrice trouvent un juste équilibre : s’il s’agit bien d’une relation marquée par la dépendance, elle est autant faite de réciprocité et d’échanges. Juliette Drouet n’est pas qu’une maîtresse silencieuse; elle est une femme qui écrit — 22000 lettres à Victor Hugo —, qui pense, qui existe.

Et si le poète, on le sait, fut érotomane, Julie Depardieu montre aussi combien il l’aimait profondément. Derrière l’extrême possessivité de Hugo se cachait une blessure d’enfance : un abandon qui peut expliquer, sans le justifier, le besoin de contrôle qu’il exerçait sur Juliette. Longtemps tenue à une stricte retraite dans des chambres qu’il lui louait, elle vivait sous sa surveillance jalouse : «Je deviens jaloux de tout, même du temps, même de l’air que tu respires quand je n’y suis pas», lui écrivait-il. Cette histoire d’enfermement résonne comme un symbole : elle pose une question universelle — jusqu’où peut-on aimer sans posséder?

Un seule-en-scène émouvant, qui éclaire, 140 ans après sa disparition, l’ombre d’un amour incandescent

Ce rapport d’emprise, la comédienne le replace dans une continuité historique, même s’il n’est pas propre au XIX siècle. Federico Fellini lui-même, au cœur du XX, vécut une liaison secrète pendant trente ans avec une pharmacienne romaine qu’il maintint prisonnière par jalousie. Ces parallèles troublants rappellent combien la frontière entre amour et captivité demeure, à travers les siècles, un territoire dangereux.

Là où Julie Depardieu excelle, c’est dans sa capacité à montrer ce que Victor Hugo a offert à Juliette. Née dans un milieu modeste, comédienne sans grand succès, jugée «légère» selon les codes de son temps, elle aurait pu n’être qu’une cocotte de plus. Hugo lui apporta l’amour, mais aussi la culture, la lecture, les voyages, la curiosité du monde. Elle devint sa copiste, sa première lectrice, sa collaboratrice de l’ombre. Ensemble, ils partagèrent une intimité intellectuelle rare : Juliette irrigue l’imaginaire des Misérables et bien d’autres textes.

 

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À la lumière d’aujourd’hui, leur histoire serait qualifiée de « toxique ». Mais il faut la replacer dans une époque où la condition des femmes n’avait rien de comparable. Tour à tour mutine, drôle, ironique, bouleversante, Julie Depardieu incarne toutes les nuances de Juliette : la jeune actrice fantasque, la maîtresse passionnée, la femme vieillissante qui se souvient. À la fin du spectacle, quand la mort approche, l’émotion culmine. Juliette Drouet meurt le 11 mai 1883 ; Victor Hugo s’éteint deux ans plus tard, le 22 mai 1885. Le lien, jusqu’au bout, restera indéfectible.

Ce seule en-scène donne au spectateur la liberté de ressentir et de comprendre, tout en interrogeant, par ricochet, notre époque : ces relations d’amour et de pouvoir existent encore, mais les femmes, aujourd’hui, « ne se laissent plus faire ». Reste pourtant cette part d’absolu que Juliette a vécue : un amour qui lui donna accès à l’universel, à la beauté, à la création, à une forme d’éternité par l’écriture et la complicité artistique. En définitive, c’est une vie hors norme que Julie Depardieu ressuscite ; un portrait de femme, en somme.

La Misérable
Seul en scène de Catherine Privat
Mise en scène et scénographie Stefan Druet Toukaïeff
Avec Julie Depardieu

Studio Marigny
Carré Marigny
75008 Paris
jusqu’au 28 décembre 2025
Vendredi et samedi : 19 h
Dimanche à 18 h

 

 Anne Bourgeois

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Photos@Emilie Brouchon

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