l'ennui

L’ennui porte conseil !

par Minou Azoulai

« Qu’est-ce que je peux faire ? J’sais pas quoi faire… » Ainsi commence la chanson d’Anna Karina, face à Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le fou, film culte de Jean-Luc Godard (1965). Si ce n’est pas le début de l’ennui, ça y ressemble. Un refrain connu de nous toutes, quand on se pose sur son canapé, quand on a éclusé les propos d’experts-de-tout-sur-tout sur les chaînes infos, quand les enfants ne courent plus dans l’appartement ou la maison, quand on ne travaille plus, ou moins, et quand la journée s’annonce oisive.

 

Mais là je m’insurge. On n’a pas le droit de s’ennuyer, pas dans ce monde en folie où l’on attend tout de l’autre, et que l’on se garde bien de donner un peu de soi. Accepter l’ennui signifie que l’on ignore non seulement les choses de la vie, l’amour, la lecture, les distractions, mais aussi nos propres ressources. Comme pour un enfant que l’on n’assaille pas de multiples activités, l’ennui ouvre la porte du rêve et de l’imaginaire…

Selon le dictionnaire, l’ennui au singulier (ce qui diffère de « un ennui » qui peut devenir pluriel) l’ennui donc, c’est « une impression de vide, de lassitude causée par le désœuvrement, par une occupation monotone ou sans intérêt. »

J’ai connu ces moments de rien, je les connais encore, mais si vous n’êtes ni malade ni dépressive, ni seule au monde dans un coin perdu, si comme moi vous ne voulez pas renoncer à la vie, alors quittez votre fauteuil ou votre canapé. Partez à la quête de ce qui se passe dans votre quartier ou dans votre ville.

J’ai connu ces moments de rien, je les connais encore

Certes, mais comment ? Juste marcher le nez en l’air, regarder autour de soi, entrer dans une cour ou une boutique, prendre un verre et observer les saynètes qui se déroulent dans le bistrot, imaginer la vie des autres. Un moment à soi, un moment hors du temps. L’apaisement vient à celles qui savent l’attendre.

Je vais jouer l’experte en conseils, juste le temps de cette chronique, cela changera de ceux ou celles qui croient tout savoir.

Et d’abord on se pomponne comme si on avait un rendez-vous important. Et on improvise. On fait un tour sur internet pour trouver une expo où point n’est besoin de réserver trois mois à l’avance, un film, une conférence, un lieu à découvrir, un achat-plaisir pour vous ou l’un de vos proches. Pas besoin d’amies si elles sont occupées, pas besoin d’une autorisation de sortie. Le simple plaisir d’être seule dans une activité choisie, improvisée ou secrètement désirée.

Conjurer l’ennui

C’est bien ainsi que j’ai redécouvert Montmartre, la rue des Abbesses, à Paris, l’architecture de quelques lieux insolites. Une cour pavée et fleurie derrière un lourd portail. Un salon de thé niché là où ne peut l’imaginer. Ainsi que j’ai eu l’audace de prendre un train pour Giverny, Chartres, Deauville ou Rouen, pour y passer une journée en toute clandestinité. Ainsi que j’ai déniché une boutique d’accessoires de mode où j’ai pu acheter plein de petits cadeaux pour les enfants, les petits-enfants, les copines. En rentrant à la maison je les ai rangés dans une boîte, en attendant de les offrir le moment venu.

C’est pour conjurer l’ennui, que j’ai pu flâner tranquillement dans une librairie en prenant le temps de lire tous les coups de cœur agrafés aux livres. Certes, je ne suis pas toujours les conseils, mais j’ai eu quelques divines surprises, tel ce magnifique roman de Ian Mac Ewan, Leçons, paru en poche, et qui détrône ceux de certains candidats aux prix littéraires de cette fin d’année.

Un jour sans canapé je me suis lancée dans une recette de cuisine de Ottolenghi… J’adore car, comme toutes celles qu’il propose, elle est souvent simple… Sauf que sa saveur vient de tous les ingrédients qu’il faut aller trouver ailleurs qu’à la supérette du quartier. Cela remplit au moins une demi-journée et fait voyager nos sens dans des épiceries insolites.

Revers de la médaille : dans mes errances, j’ai aussi pénétré des quartiers louches, insécures, pour le moins cosmopolites mais vivants, au bout d’une ligne de bus ou de métro.

Je me suis sentie désespérée en déambulant dans des rues, voire des avenues, où les boutiques sont vides de clients, où les vendeuses s’ennuient…Quand le paysage urbain nous offre une succession de magasins fermés, recouverts d’affiches déchirées… franchement cela me donne envie de pleurer. Car si consommer n’est pas le but d’une vie, la ville et la nature ont encore et heureusement horreur du vide. On peut comprendre, mais remplacer une échoppe de livres, de mode, un cinéma de quartier, par un fast-food, autrement dit la culture par la mal bouffe ! Non, non et non.

Le véritable ennui c’est cette solitude sur canapé, cette routine de faire et refaire ses placards, de ranger (ou déchirer) sa vieille paperasse, pour tuer les heures. Harceler les proches et se dire qu’on ne sert plus à rien ni personne, que le monde tourne sans nous. Erreur fatale !

Ne pas renoncer à sa curiosité

Le vide et l’ennui se rencontrent quand on renonce à sa curiosité, à son envie de partager un moment avec les autres, connus ou inconnus. Quand on se sent coupable d’un plaisir du jour, pendant qu’un enfant, une amie se débattent dans des problèmes. On ne les abandonne pas pour autant, on reporte notre angoisse et notre empathie au lendemain…

Ah j’allais oublier, on peut aussi échapper à l’ennui sans sortir.

Prévoir quelques pâtisseries coupables ou grignoter toute la journée. Danser seule devant son miroir sur un air des années 70 ou 80. Traîner en pyjama, oublier le maquillage, relire les articles de notre site Les Boomeuses, zapper devant l’écran de télévision jusqu’à la crampe pour trouver un programme débile, qui nous fait sombrer dans une sieste revigorante. Voir des documentaires ou des séries qu’on a manqués. Ne pas répondre au téléphone mais scroller et s’arrêter sur toutes les fake news possibles, sans chercher à savoir le vrai du faux. Jouer pendant des heures au scrabble ou au mahjong du portable, lire un polar aussitôt oublié. Cela peut paraître nul, mais c’est une délicieuse paresse.

Il n’empêche, ces derniers conseils ne sont valables que pour une journée.

Il est interdit de les suivre jour après jour, sous peine d’attraper le virus du « j’sais pas quoi faire », et finir sur un stupide « j’sers à rien, je suis une tache ».  Je rappelle que la chanson d’Anna Karina évoque une comédie musicale, pas le glas d’un enterrement.

Là, je ressors notre vieux slogan soixante-huitard. Pour « jouir sans entrave » il faut être libre et s’aimer, et surtout ne pas confondre ennui, un état passager, et dépression, une pathologie. Et j’affirme en guise de consolation que, comme l’a écrit Serge Gainsbourg, « L’ennui ? Une position aristocratique. »

 

Minou Azoulai

 

Lire aussi : Enfants de Boomeuse

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