Ma mère ? Elle est comme toutes nos mères, une vieille dame digne qui s’autorise à être indigne quand bon lui semble.
Ma mère ? Comme tant d’autres, et comme pour répondre aux statistiques, elle vit seule. Veuve joyeuse ou éplorée selon les jours. Ses copines sont trop vieilles, trop malades. Ah, son mari est encore vivant ? Oui mais quel bougon dépressif qui ne s’intéresse jamais à elle et à ses états d’âme.
Ma mère, la vôtre a de l’arthrose, des rhumatismes, des jambes lourdes, des nuits blanches et des idées noires. Ses bobos sont un leitmotiv, une ritournelle quotidienne de nos coups de fil. Entre elle et nous, bien sûr, jamais avec ses fils.Oh je la connais très bien, vous aussi d’ailleurs, elle appelle trois fois par jour, alors que nous lui avons déjà parlé au petit matin pour savoir si elle a passé une bonne nuit. Qu’est-ce que tu penses de ceci ou de cela, et si on allait boire un thé, et si, et si…
Une précision, nos vieilles mamans appellent leurs filles, pas leurs fils
Connivence féminine, sans aucun doute. Pudeur à l’égard de ses fils devenus hommes, certainement. Avec nous, elle peut balancer des remarques aigres-douces ou quelques pointes de jalousies. Elle reste femme, tout en maintenant l’écrin de sa maternité, de sa jeunesse et de la nôtre. En jurant ses grands dieux qu’elle ne veut pas se mêler de notre vie, elle pose mille et une questions, régente nos existences et nos pensées. Ce qu’elle ne conçoit même pas avec les garçons ; face à eux rester chic, digne et exemplaire. Question de génération, aux femmes les soucis du quotidien, aux hommes les grands problème du monde. Avec eux, elle est totalement mère-poule, mais c’est si insidieux que les fils ne s’en rendent même pas compte. Si elle ne veut surtout pas paraître envahissante, elle n’en pense pas moins…La preuve ? Elle se plaint de mon frère qui ne l’appelle jamais, qui ne l’emmène pas souvent au restaurant, qui lui a promis un plombier pour son chauffe-eau. Elle ronchonne parce qu’il a encore changé de compagne, évidemment elle préférait l’autre… Eh oui précise-t-elle avec véhémence, les hommes ne sont plus les mêmes, ils changent de vie comme de pantalon, ils ne lui cèdent jamais la place dans le bus, ils abandonnent femmes et enfants pour une jeunette. Oui maman, mais ce n’est pas nouveau… Si si, c’est nouveau, on peut avoir une maîtresse comme les hommes de ma génération, et respecter sa famille…
Elle ajoute, parce qu’elle l’adore, que Michel Drucker a la même femme depuis toujours, voilà un homme élégant, beau, gentil et fidèle. Ah, ah !!
Et si les mères appelaient leurs filles plus facilement pour masquer une certaine rancœur, inconsciente, contre tous les hommes, parce que le leur est parti, ou qu’il les ennuie s’il est bien vivant ? Mais revenons à Drucker, la boîte à people de nos mamans, leur boîte à rêves. Elles l’ouvrent et la couvrent de compliments, pour mieux tisser leur roman intérieur, adoucir leurs bobos, ne pas vieillir trop vite, trop mal. Espérer plutôt que se souvenir.
Si je parle à ma mère, de boulot, retraite, traitement hormonal, acide hyaluronique, compléments alimentaires, elle pousse de grands soupirs, ces mots n’ont aucun sens pour elle, ils appartiennent à un monde qu’elle ignore. Sa boîte bleue de crème Nivéa lui suffit, et enfant j’adorais en faire une palette de marelle.
Elle est passée la fête des mères ? Maman a râlé parce que son fils a oublié de venir ou de l’appeler (si c’est le cas, il est sourd, autiste ou à l’autre bout du monde) ? Votre cadeau ne lui a pas plu, elle préfère que vous le changiez pour une autre couleur, un autre titre ou une meilleure fragrance ? Peu importe. Ma mère, comme la vôtre, prend beaucoup de place. Mais si un jour je ne la vois plus ou je ne l’entends plus, il me manquera mon noyau dur, ma colonne vertébrale, mon enfance tout entière. Parce que quand les parents disparaissent, on devient un peu plus vieille, on se retrouve en tête de liste, on n’est plus l’enfant de… Personne ne vous dira plus deux ou trois fois par jour, protège-toi ma fille et n’oublie pas de bien te couvrir. Et vous ne pourrez plus chantonner Allo maman, bobo…
[infobox bg= »gray » color= »black » opacity= »on » subtitle= » »]Minou Azoulai est journaliste, productrice et réalisatrice de documentaires[/infobox]
2 commentaires
Comme votre article est véridique
J’aurais aimé que ma mère soit comme la vôtre. En ce qui concerne ses relations avec son fils, je suis d’accord : on a la même.