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The Substance de Coralie Fargeat, un brûlot contre les diktats de la jeunesse éternelle

par Anne Bourgeois

Pour son deuxième long-métrage, Coralie Fargeat nous plonge dans un cauchemar viscéral où le corps se rebelle contre une société obsédée par l’apparence. Avec Demi Moore en tête d’affiche, ce film de body horror explore la frontière ténue entre vanité, vieillissement et aliénation, un brûlot contre les diktats de la jeunesse éternelle.

 

C’est un euphémisme de dire que l’on sort sonné de la projection, tant ce deuxième long-métrage de Coralie Fargeat, réalisatrice française, est hors normes, excessif et transgressif. Dans un paysage cinématographique trop souvent aux teintes pastel, voire édulcoré, on ne s’attendait plus à ce qu’un film de sang et de fureur soit produit et éclabousse l’écran et nous, spectateurs, de sa rage et de sa vision déchaînée.

Récompensé du prix du scénario au dernier Festival de Cannes, The Substance est bien plus qu’une œuvre de body horror que David Cronenberg n’aurait pas reniée. Âmes sensibles, vous êtes prévenues.

Le pitch : Demi Moore prête ses traits à Elizabeth Sparkle, une actrice à succès et reine de l’aérobic littéralement jetée par son producteur macho, Harvey (Dennis Quaid) abominablement génial), qui lui fait comprendre qu’elle a dépassé, avec la cinquantaine, sa «date de péremption». Aucune intervention chirurgicale ne pouvant masquer son âge, elle s’injecte une substance mystérieuse, une formule révolutionnaire vendue sur le marché noir, qui permet, par une division cellulaire, de générer une autre version d’elle-même. Elle donne vie à Sue (Margaret Qualley), plus jeune, plus belle, plus forte et surtout… mieux acceptée par l’industrie hollywoodienne. Mais que se passe-t-il si son double ne respecte pas les règles?

The Substance une réflexion sur le vieillissement

The Substance est avant tout une réflexion sur le vieillissement et la jeunesse, la vanité et le besoin d’amour, l’ambition dévorante et la part de soi que l’on déteste. Coralie Fargeat s’empare de ces thèmes à bras-le-corps, en les plaçant dans le contexte de la misogynie ordinaire, ce machisme intériorisé et banalisé. Elle en fait un pamphlet féministe puissant, loin de tout didactisme, contre l’injonction faite aux femmes de rester désirables selon des normes imposées par les hommes et une société du spectacle obsédée par l’apparence. La cinéaste se lâche et dit  : stop! Cette révolte, elle l’avait déjà explorée dans son précédent film, Revenge et la poursuit ici avec brio. Quant à Demi Moore, elle est tout simplement stratosphérique.

the substance

the substance, demi moore

Une comédienne de chair et d’os, qui sans hésiter, dévoile un corps abîmé par le passage des années, acceptant d’être filmée sous toutes les coutures, puis délibérément enlaidie. À travers ce personnage autoréférentiel, elle renvoie aux traitements médiatiques dont elle a elle-même été victime, qualifiée de «cougar» lorsqu’elle avait épousé Ashton Kutcher, de 16 ans son cadet. En s’appropriant ce rôle, exigeant une humilité rare et une bonne dose de courage, elle signe à l’évidence une revanche personnelle contre les diktats du star-system hollywoodien.

Un pacte Faustien

C’est un véritable pacte faustien qui se joue. Elizabeth troque son âme contre la substance, croyant y trouver une échappatoire à sa condition, mais se retrouve maudite. Peu à peu, elle perd son humanité, se métamorphosant en une créature avilie, pathétique : la substance n’est autre que notre chair elle-même, un mélange de viscères et de matières maltraitées, en putréfaction, prêtes à se venger sur notre volonté de mettre à bas le temps qui passe.

«Je me bats, je me bats», disait Cyrano dans un dernier soupir mais notre sort, c’est de vieillir, d’avoir des rides, les fesses et les seins qui s’affaissent; et alors? En fuyant cette réalité, en reniant nos propres visages et nos corps, nous sombrons dans une aliénation totale. Coralie Fargeat interroge ce point de rupture, ce moment précis où le monstre enfoui en nous émerge, en écho à notre obsession de transformation et de perfection.

Le film convoque l’univers de réalisateurs majeurs comme Stanley Kubrick, dont l’influence de Shining et Orange Mécanique est évidente, mais aussi de David Cronenberg, d’Alfred Hitchcock (notamment avec la musique de Vertigo) , Roman Polanski avec l’atmosphère claustrophobe du Locataire , David Lynch et Ridley Scott pour son Alien. Impossible de ne pas penser au Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde ou à La Peau de chagrin de Balzac, œuvres littéraires qui explorent la vanité et le désir de jeunesse éternelle.

The Substance devient ainsi de plus en plus délirant et sanglant au fil de ses 2 h 20 min, jusqu’à un final que l’on n’est pas près d’oublier. Les dernières scènes, d’une intensité visuelle rare, évoquent les peintures de Jérôme Bosch avec leur dimension apocalyptique et hallucinée. Certains vont adorer, d’autres vont détester. Impossible d’y rester indifférent.

 

The Substance de Coralie Fargeat
Avec Demi Moore, Dennis Quaid et Margaret Qualley

En salle  mercredi 6 novembre

 

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