Oscar maquillage Stephanie Guillon

Stéphanie Guillon, alias Clochette, notre chef maquilleuse oscarisée, fait briller la French Touch !

par Anne Bourgeois


Avec dans sa sacoche une cinquantaine de films et des distinctions prestigieuses — Oscar du meilleur maquillage, BAFTA et prix de la Make-Up Artists and Hair Stylists Guild pour The Substance de Coralie Fargeat —, Stéphanie Guillon cisèle les traits et donne corps aux visions des cinéastes. Rencontre avec cette fée des ombres et des pleins, une peintre de la chair qui, entre techniques millimétrées, confidences beauté et coulisses du métier, nous dévoile son art.

Remporter un Oscar pour The Substance, c’est une consécration ! Comment avez-vous vécu cette reconnaissance internationale après 30 ans de métier ?

Stéphanie Guillon : Quand les nominations sont tombées, j’ai cru à une erreur. C’était le syndrome de l’imposteur
en pleine puissance… Moi, qui suis autodidacte et ai commencé ce métier par hasard, en lice pour un Oscar ?
Puis, quand je l’ai tenu dans mes mains, je me suis dit que tout cela devenait bien réel. Juste avant, j’avais enchaîné des tournages éprouvants, au point de songer à arrêter. Et puis, d’un coup, tout bascule, le regard des gens change. Ce qui m’a le plus marquée, ce sont les messages de maquilleurs que j’admire depuis toujours. J’ai mesuré l’importance de cette reconnaissance. Mais je n’ai réalisé que plus tard qu’un Oscar, ce n’était pas anodin.
La cérémonie ? Un tourbillon. Assise parmi ces stars, je me demandais : « Qu’est-ce que je fais là ? » Quand mon nom a été annoncé, j’ai mis quelques secondes avant de comprendre. Ensuite, cela a été retour sur Terre : vol pour Barcelone, tournage avec Marion Cotillard le jour suivant. Pas le temps de souffler : dans ce métier, l’extraordinaire s’enchaîne au
quotidien, et, dès le lendemain, on est déjà sur un nouveau tournage, car un film n’attend pas.

Stephanie Guillon
Stéphanie Guillon et son Oscar
oscar maquillage


Avec votre Oscar, votre Bafta et votre combat pour un César du maquillage, l’Académie va-t-elle enfin donner à votre métier la reconnaissance qu’il mérite ?

J’aimerais dire oui, mais rien n’est acquis. Depuis des années, l’Association des Maquilleurs
et Coiffeurs du cinéma milite pour un César du maquillage/coiffure. Les Oscars, les BAFTA et les
Goya le reconnaissent, mais, en France, nous sommes relégués au second plan. Pourtant, le
maquillage, c’est une transformation, une narration visuelle.
Cet Oscar va-t-il tout changer ? J’espère, mais ce sera un combat. Il y a aussi une dose de sexisme là-dedans. Ce métier,
majoritairement exercé par des femmes, reste dans l’ombre d’un milieu dominé par les hommes. Mais si cet Oscar peut aider à faire avancer les choses et bien c’est tant mieux, je n’aimerais pas que la prochaine génération subisse la même invisibilisation. Je pense que ce manque de reconnaissance vient d’une méconnaissance de notre métier. Pour que cela change, il faut agir à la base, en intégrant dans les écoles de cinéma des formations en maquillage
aussi poussées que celles des réalisateurs et chefs opérateurs avec qui nous travaillons en
étroite collaboration.

oscar

Ce métier, majoritairement exercé par des femmes, reste dans l’ombre d’un milieu dominé par les hommes.Mais si cet Oscar peut aider à faire avancer les choses et bien c’est tant mieux.

Ce combat pour la reconnaissance, c’est aussi défendre un savoir-faire unique : alors,
c’est quoi le secret de la French Touch en maquillage ?

Stéphanie Guillon : « Less is more » : l’art de faire beaucoup avec peu. Ce naturel étudié, si français, donne
l’illusion de la spontanéité, alors que tout est millimétré. Tout est question de placement et de dosage. Pour moi, c’est ça, la French Touch. De ce que j’ai pu entendre lorsque j’ai travaillé dans les autres pays c’est la surprise lorsque l’on fait un make-up si léger, mais tout de même structurant ou lumineux. On ne masque pas, on sublime, on joue avec la lumière et les volumes naturels. L’essentiel, c’est que la peau respire, que le maquillage vive au lieu de figer. C’était crucial pour The Substance, où la perfection artificielle se fissure. J’ai travaillé sur la symétrie du visage de Demi Moore, d’abord parfaite, puis subtilement altérée : un œil qui tombe, une fatigue imperceptible sous les pommettes. Des détails que seule la caméra peut capturer. Comme en haute couture, le maquillage doit accompagner, non pas voler la vedette.

Comme en haute couture, le maquillage doit accompagner, non pas voler la vedette

maquillage oscar stéphanie Guillon

Qu’est-ce qui a convaincu Demi Moore de vous choisir, vous et votre équipe ? Le maquillage d’une star exige-t-il plus de pression ?

Souvent, lorsque les stars américaines ou autres tournent à l’étranger, elles emmènent leurs équipes, mais cela n’a pas été le cas sur « The substance ». J’ai été contacté par le producteur exécutif du film qui, après m’en avoir parlé, a envoyé mon CV à la production américaine et, je suppose, à Demi et à Margaret. C’est après l’étude du CV que j’ai été embauché, puis nous avons fait des essais avec les actrices. C’est à ce moment que tout se décide. Bien sûr il y a de
la pression à travailler avec une star, mais j’essaie de traiter les gens de la même manière, peu importe qui j’ai sous mon pinceau. Avec Demi, nous nous sommes vite bien comprises et entendues, car nous avons des chemins de vie communs. Donc cela a été plus simple pour créer un climat de confiance qui permet de travailler correctement.

demi moore


Quels sont les artistes ou les mouvements artistiques qui vous ont inspiré pour « The
Substance » ?

Mes inspirations allaient des magazines de mode et des émission télévisées des années 80 aux clips de Kpop d’aujourd’hui. Je ne voulais pas figer le maquillage, mais allier héritage et modernité, en puisant dans d’autres arts que le cinéma. Pour moi, le maquillage se pense en termes de volume et d’harmonie. Je regarde donc beaucoup de peinture en lien avec le thème du film que je prépare, mais aussi des travaux sur les proportions, comme ceux réalisés par Léonard de Vinci, « mon héros ». Mes inspirations principales venaient des vidéos d’aérobic de Jane Fonda, des campagnes publicitaires de Gigi Hadid, de clips de Britney Spears, etc. Pour Margaret, des clips de la chanteuse coréenne Sonmi, de Dua Lipa…


Vous utilisez le Baume Tempête de NividiSkin, un produit fabriqué à Ouessant : simple
coup de cœur ou vraie volonté de défendre le made in France ?

Les deux ! Ce baume est une pépite : efficace, naturel, écoresponsable, enrichi en algues sauvages d’Ouessant.
Je l’ai découvert par hasard en Bretagne, dans une crêperie. Intriguée, je teste : texture parfaite, absorption instantanée. Je contacte Guy Potier le fondateur, qui me parle des bienfaits régénérateurs des algues. Je repars avec des échantillons. Depuis, il ne quitte plus ma trousse. Sur The Substance, il est devenu incontournable.


À 53 ans, comment gérez-vous l’avancée dans l’âge dans une société obsédée par la
jeunesse et la perfection, les thèmes centraux du film ? Plutôt stressant, ou l’occasion de
prouver que le style et le talent n’ont pas d’âge ?

Dans ce métier, le regard sur l’âge est impitoyable. Le cinéma glorifie la jeunesse, pas
seulement pour les actrices. The Substance explore cette obsession, cette injonction
omniprésente. Pourtant, la beauté ne disparaît pas ; elle évolue. Si je peux aider les actrices à
accepter ce changement, c’est une victoire sur les diktats. Nous, maquilleuses, costumières,
techniciennes, devons sans cesse prouver notre légitimité, encore plus avec l’âge. Là où un
homme du même âge évolue sans être questionné, nous devons prouver que notre expertise
est un atout, pas un fardeau. Heureusement, certains des jeunes réalisateurs avec lesquels j’ai
eu la chance de travailler, comme Sébastien Vaniček sur Vermines, et Antoine Besse sur
 Ollie , n’ont pas ces préjugés sur l’âge. Ils sont plutôt demandeurs de l’expérience que l’on
peut leur apporter. Quand un dialogue intelligent s’installe et qu’une confiance s’établit, c’est
un vrai bonheur et le travail s’en ressent. Pour ma part, je suis toujours beaucoup plus créative
quand j’ai la confiance et l’écoute des personnes avec qui je collabore.

La beauté ne disparaît pas, elle évolue

Entre deux tournages aux quatre coins du monde, quels sont les incontournables de
votre trousse beauté ?

Honnêtement ? Je crois avoir une bonne génétique, car je fais le strict minimum. (Rires) Je
passe mon temps à sublimer les autres, mais pour moi, c’est minimaliste. Entre les tournages
et les journées intenses, ma routine se résume à l’essentiel : hydrater et préserver ma peau.
J’utilise le Baume Tempête de NividiSkin après une longue journée et le Baume T-Rex pour
réparer. Pour le démaquillage, uniquement des serviettes microfibres Makeup Eraser et de
l’eau chaude, rien d’agressif. Côté maquillage, un peu de blush et des sourcils bien dessinés,
c’est tout. Mon parfum fétiche ? Via del Incenso de la Pharmacia San Anunzio, une odeur
d’encens. J’utilise également un déodorant Weleda et un dentifrice sans fluor. Les soins
miracles, je n’y crois pas. L’hydratation, le sommeil (quand on peut) et le maquillage léger :
c’est ça, le vrai secret. Vieillir n’est pas un problème, c’est un processus naturel.


Et, sur les tournages, votre matériel est-il aussi minimaliste ?

Oui, un peu, je cherche toujours à avoir le moins de produits possible, mais les plus efficaces !
Mon matériel est organisé dans des boîtes à étage, des Stanley de chantier, robustes et
pratiques sur les plateaux et étiquetées en coréen. Côté démaquillage, Demi Moore m’a fait
découvrir les serviettes microfibres Makeup Eraser, qui enlèvent tout simplement avec de
l’eau chaude. Je les chauffe dans un four de barbier, et le maquillage disparaît en un geste.
Pour les résidus tenaces, j’ai un démaquillant : le Biphasé de Gemey Maybeline. Côté
maquillage, je travaille avec Siân Richards London pour ses textures adaptables et sa tenue et
Maqpro, une référence française en pigmentation. Les sourcils structurent le visage : j’utilise
« Le Sourcil » d’Angélik Iffennecker, qui offre des teintes ultra-naturelles. Pour les cils,
Blinc, un mascara waterproof facile à retirer. Enfin, pour les soins de la peau, Nividiskin et
Sulwhasoo, une marque coréenne qui est une valeur sûre, et j’aime détourner les sérums et
crèmes Horace, made in France, initialement conçus pour les hommes, mais qui conviennent
parfaitement à tous.

Vieillir n’est pas un problème, c’est un processus naturel

Quels sont vos conseils pour un maquillage naturel adapté aux femmes de plus de
50 ans ?

Moins de matière, plus d’effet. Un fond de teint doit être exactement raccord à la couleur du
cou, pour éviter les démarcations. J’évite les couvrances trop fortes, je corrige juste où là il
faut, en ajoutant une touche de lumière sous les yeux et autour du nez. Le blush, « c’est la
vie » ! Appliqué au milieu des joues, il donne immédiatement un effet « bonne mine ». Pour
les sourcils, je préfère les traits légèrement estompés, en comblant uniquement les zones
manquantes. Les yeux gagnent en intensité avec des fards satinés et un léger ras-de-cils fumé
plutôt qu’un liner dur. Enfin, un crayon proche de la couleur naturelle redéfinit la bouche,
avec un point de rouge à lèvres sur la lèvre supérieure qui crée un effet repulpant discret.

Anne Bourgeois

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