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L’Injuste : Jacques Weber et Élodie Navarre s’affrontent dans un duel de choc au Théâtre de la Renaissance

par Arielle Granat

S’inspirant de la vie du sulfureux banquier suisse François Genoud, éditeur d’Hitler, financier du régime nazi et des mouvements terroristes palestiniens, les auteurs de L’Injuste ont imaginé un duel haletant, admirablement porté par l’un des « monstres sacrés » du théâtre français, Jacques Weber et par la brillante comédienne Élodie Navarre.

Alexandre Amiel, à l’origine de cette histoire librement inspirée de la vie de François Genoud, s’est entouré de Yaël Berdugo, Jean-Philippe Daguerre et Alexis Kebbas pour bâtir cet affrontement dans la grande tradition du duel théâtral.

Ici, un nazi suisse surnommé le « banquier d’Hitler », vieillard terré dans son bunker, fait face à une journaliste israélienne venue l’interviewer, peu après la signature des accords d’Oslo en 1993. Les décors angoissants de Camille Duchemin, la musique prenante de Jérôme Hédin, nous plongent d’entrée dans une atmosphère pesante, soulignée par la mise en scène efficace de Julien Sbire.

4 écrans de télé projettent des images des procès Eichmann, Barbie, des attentats des JO de Munich, du terroriste Carlos, de la poignée de main historique de Camp David entre Rabin et Arafat… Toutes ces images vont prendre sens au fur et à mesure du duel auquel les spectateurs vont assister dans un huis clos en forme d’époustouflant thriller.

L’injuste, un duel haletant

Vêtu d’un élégant costume gris perle, chemise blanche, cravate noire et gilet assorti, Jacques Weber s’impose naturellement en François Genoud dandy, sa crinière blanche faisant irrésistiblement penser à Jean Marais, sa stature à Jean Gabin. Le Genoud original était bien plus falot, mais qu’importe. Son père, qui possède une affaire de papiers peints, l’envoie en 1931 en stage en Allemagne chez l’un de ses fabricants pour apprendre le métier, alors qu’il est adolescent. Un an plus tard, son hôte lui présente Hitler lors d’une réunion du parti nazi. Le jeune François Genoud est fasciné. Il restera fidèle à Hitler et au nazisme jusqu’à son suicide assisté, en 1996.

De retour en Suisse, le jeune homme adhère au Front national, le parti nazi suisse au sein duquel il crée une branche jeunesse, puis voyage en Orient, se rendant à Jérusalem en 1936 où il rencontre le Grand Mufti Mohammed Amin al-Husseini, qui partage les idées antisémites du Führer et contribuera à la création d’une brigades SS composée de combattants musulmans.

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François Genoud s’activera durant la guerre à blanchir dans les banques suisses l’or arraché des dents des déportés juifs dans les camps d’extermination, puis à payer la défense des criminels de guerre nazis avant de financer les régimes nationalistes arabes et les mouvements terroristes palestiniens. Tout en éditant les « oeuvres » de Hitler, Goebbels, Göring, Bormann, grâce auxquelles il fera fortune. Le dénominateur commun de cet activisme forcené, outre l’appât du gain : un antisémitisme viscéral, qui se muera en antisionisme forcené.

Ce personnage sulfureux, Weber l’incarne avec brio. Ecrasant sa proie sous un air matois, tel un « gros minet » nazi se délectant par avance de sa « Titi » israélienne, puis pris d’une fabuleuse légèreté lorsqu’il danse avec une grâce infinie le dabkeh, tel un charmeur de serpent. De son côté, Elodie Navarre est impressionnante, jouant sur le fil avec une rare intensité. La mécanique habile de la pièce emporte la salle, subjuguée.

On ne dévoilera pas la belle machine théâtrale qui tient les spectateurs en haleine jusqu’au bout. Jacques Weber en « ogre » et Elodie Navarre en « petit chaperon rouge » y font tous deux simplement merveille, enthousiasmant le public.

A l’heure où la moindre opinion mesurée sur le conflit israélo-palestinien est vouée aux gémonies, « L’Injuste » a le mérite de proposer une réflexion salvatrice, difficile à entendre par les temps qui courent, sans aucun manichéisme et portée par deux admirables comédiens. A voir d’urgence.

L’injuste
Mise en scène par Julien Sibre
Jusqu’au 4 mai 2025
Du mardi au samedi, 19h et le dimanche à 15h.
Durée 1h20Théâtre de la Renaissance
20 boulevard Saint-Martin, Paris 10e
tél. 01 42 08 18 50

Arielle Granat

Photos@jontychampelovier

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