les justes, théâtre de poche

Les Justes d’Albert Camus au Théâtre de Poche Montparnasse : Peut-on tuer au nom d’un idéal ?

par Anne Bourgeois

Moscou, 1905. Cinq jeunes révolutionnaires préparent un attentat contre le Grand-Duc Serge. Dès les premières scènes des Justes, au Théâtre de Poche Montparnasse,  les quatre comédiens – Arthur Cachia, Étienne Ménard, Oscar Voisin et Marie Wauquier – dont l’interprétation est au cordeau, servent la parole de Camus avec une intensité et une rage contenues.

 

Ils confrontent le spectateur à un dilemme universel : peut-on tuer au nom de la justice ? Et surtout, peut-on accepter le meurtre d’innocents au nom d’un idéal supérieur ?
Écrite en 1949, Les Justes explore la frontière fragile entre résistance et terrorisme. Où s’arrête la légitimité de la lutte ? Où commence la spirale de la violence aveugle ? Camus ne tranche pas : il tend un miroir à notre époque, où ces mêmes questions résonnent avec une acuité brûlante.

L’expérience de la Résistance irrigue son écriture. Oui, la lutte armée peut s’imposer face à la tyrannie. Mais jamais, affirme Camus par la voix de Kaliayev, au prix de la vie des enfants : la vie humaine demeure sacrée, principe intangible. Cette exigence éthique s’incarne dans cette déclaration saisissante :

« Oui ! Mais moi, j’aime ceux qui vivent aujourd’hui sur la même terre que moi, et c’est eux que je salue. C’est pour eux que je lutte et que je consens à mourir. Et pour une cité lointaine, dont je ne suis pas sûr, je n’irai pas frapper le visage de mes frères. Je n’irai pas ajouter à l’injustice vivante pour une justice morte. »

Toute la tension des Justes est là : comment conjuguer révolte et humanité ? Comment refuser la tyrannie sans reproduire la logique meurtrière qu’on combat ? Camus met en garde : aucun idéal, aussi noble soit-il, n’autorise le sacrifice aveugle des innocents.

les justes, camus

Ce conflit moral traverse toute son œuvre. Face à la guerre d’Algérie, il résumait sa position lors de son Nobel, à Stockholm en 1957, par une phrase restée célèbre : « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. » Déclaration orale, rapportée par plusieurs témoins, qui condense toute l’ambivalence de Camus : attachement intime d’un côté, exigence morale de l’autre. Chez lui, le révolté demeure avant tout un homme fidèle à l’amour, à la tendresse, à la vie.

Une mise en scène précise et épurée

Aujourd’hui encore, la pièce, montée au Théâtre de Poche Montparnasse par Maxime d’Aboville, dans une mise en scène précise et épurée, résonne avec nos violences contemporaines : guerres, attentats, résistances, répressions… Tout aurait dû changer avec l’idéal progressiste ; rien n’a changé avec la réalité des hommes.

Le spectateur quitte la salle habité d’une interrogation sans réponse : jusqu’où la quête de justice autorise-t-elle l’irréparable ? Un questionnement que le philosophe Camus exprimait déjà dans L’Homme révolté :« L’histoire entière du terrorisme russe peut se résumer à la lutte d’une poignée d’intellectuels contre la tyrannie, en présence du peuple silencieux. »

Silence qui, hier comme aujourd’hui, nous oblige à choisir : sommes-nous du côté des justes… ou de ceux qui détournent le regard ?

 

Les Justes  d’Albert Camus
Mise en scène : Maxime d’Aboville
Avec : Arthur Cachia, Étienne Ménard, Oscar Voisin, Marie Wauquier
Costumes et scénographie : Charles Templon, assisté de Pixie Martin
Création sonore : Jason Del Campo
Du mardi au samedi à 19h / dimanche à 15h

Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse

75006 PARIS
Tél. 01 45 44 50 21

 

Anne Bourgeois

Photos Copyright ©Sébastien Toubon

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