Les fêtes sont enfin passées, ripailles et victuailles digérées, fourneaux délaissés et poches trouées : il est temps de laisser place aux nourritures célestes. Au menu, un cycle de six films — gratuit — de Chantal Akerman sur Arte, jusqu’au 25 avril 2025. Et si le courage vous en dit, affrontez les frimas hivernaux pour l’exposition Chantal Akerman — Travelling, au musée du Jeu de Paume, jusqu’au 19 janvier 2025.
Chantal Akerman réalise en 1975, à seulement 25 ans, son troisième long métrage : Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles. En 2022, la revue britannique Sight & Sound lui décerne le titre de « meilleur film de tous les temps «, détrônant Vertigo d’Alfred Hitchcock. Ce chef-d’œuvre féministe et avant-gardiste est toujours d’une audace inouïe influençant des réalisatrices et réalisateurs de renom, tels que Gus Van Sant, Sofia Coppola, Todd Haynes et Michael Haneke.
Jeanne Dielman, « meilleur film de tous les temps » porté par Delphine Seyrig
Jeanne Dielman dépeint le quotidien méticuleusement ritualisé d’une femme veuve et mère d’un adolescent. Pendant trois heures, dans un appartement aux accents du Locataire de Roman Polanski, Jeanne s’adonne à des tâches ménagères répétitives et reçoit, en fin d’après-midi, des hommes auxquels elle se vend pour nourrir son fils, qui est son tout, mais aussi son rien. Tout se déroule dans une mécanique implacable jusqu’à ce que, peu à peu, la machine se dérègle. Il n’y a quasiment pas de dialogues, mais c’est précisément dans ce silence oppressant que l’ennui et l’aliénation prennent vie. L’étau se resserre dans les gestes du quotidien, autour de la condition de la femme au foyer. On plonge, fasciné, dans ce film qui égrène, tel un métronome, les minutes meurtrières.
Delphine Seyrig, féministe de la première heure, incarne Jeanne, dont le dévouement maternel absolu la précipitera vers sa propre annihilation, rappelant la Jeanne d’Une vie de Maupassant. Jeanne Dielman s’impose comme une tragédie filmée au cordeau, portée par une mise en scène d’une maîtrise hors-normes. Chantal Akerman, avec ses cadres fixes et son sens de la composition, déconstruit les codes du cinéma traditionnel pour offrir un portrait incisif de la condition féminine. En 2025, sa résonance est toujours forte, tant l’oppression des femmes dans le monde est loin d’être vaincue.
Les cinq autres films à découvrir sur Arte
Je, tu, il, elle (1974, 1 h 22) avec Chantal Akerman, Claire Wauthion, Niels Arestup. Premier long métrage de Chantal Akerman, cet essai fictionnel tourné en 1974 aborde le désir homosexuel avec une frontalité inédite.
Les Rendez-vous d’Anna (1978, 2 h 2) avec Aurore Clément, Helmut Griem, Magali Noël, Jean-Pierre Cassel, Lea Massari. Au fil de ses voyages, Anna, réalisatrice, fait une succession de rencontres et de retrouvailles. Un autoportrait dédramatisé d’une jeune femme en quête d’équilibre.
Golden Eighties (1986, 1 h 36) avec Delphine Seyrig, Myriam Boyer, Lio, Charles Denner, Fanny Cottençon. Dans une galerie marchande, employés et clients se croisent et rêvent d’amours. Ils en parlent, le chantent et le dansent, ponctués par les chœurs des shampouineuses.
La Captive (2000, 1 h 59) d’après La Prisonnière de Marcel Proust, avec Sylvie Testud, Stanislas Merhar, Olivia Bonamy. C’est l’histoire d’un homme amoureux fou d’une femme qui lui échappe. Sans doute la plus belle adaptation cinématographique de Marcel Proust.
La Folie Almayer (2011, 2 h 7) avec Stanislas Merhar, Aurora Marion, Marc Barbé. Adaptation personnelle du roman de Joseph Conrad, publié en 1895, le film raconte l’histoire d’un homme qui se consume d’amour pour sa fille.
Le Jeu de Paume rend hommage à la cinéaste, artiste et écrivaine belge Chantal Akerman, trop tôt disparue, rongée par ses tourments, à travers une exposition exceptionnelle, réalisée avec le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, la Fondation Chantal Akerman et la Cinémathèque royale de Belgique.
L’exposition Chantal Akerman — Travelling, jusqu’au 19 janvier 2025 — musée du Jeu de Paume
Mardi : 11 h – 21 h
Du mercredi au dimanche : 11 h – 19 h
Jeu de Paume
1 place de la Concorde
Jardin des Tuileries, Paris 1er
Anne Bourgeois
Chantal Akerman sur le tournage du documentaire « Dis-moi » réalisé dans le cadre de la collection « Grand-mères » dirigée par Jean Frapat, 28 mars 1980.
© INA / Laszlo Ruszka
Lire aussi : Ménopause : tabou, révolte et renaissance