A tout juste 60 ans, Martine est une jolie femme blonde aux yeux verts, lumineuse, dynamique et appétissante. Mais ce soir nous la voyons catastrophée…
Elle est venue dîner à la maison pour nous annoncer que Jacques avait disparu de la circulation. Cet homme si charmant qui, depuis trois mois, l’avait entrainée dans un tourbillon de réjouissances à faire aimer la vie ne répondait plus à ses appels. ‘’Je ne comprends pas, du jour au lendemain, silence total !… Pourtant, ça se passait vachement bien. Y a deux semaines encore on était à Venise, tu le crois ?’’.
Comme toute boomeuse qui se respecte, Martine faisait tout depuis deux ans pour tenter de maîtriser cette fameuse ‘’nouvelle vie’’ qui s’offrait à elle depuis que ce sacré Paul l’avait quittée après trente ans de mariage.
Passée une période de repli vertueux pendant laquelle elle s’était consacrée à son boulot et à ses deux enfants pour renouer avec son identité de mère et grand-mère, Martine avait enfin décidé de se rendre disponible. Mieux, elle croyait secrètement possible de ‘’reconstruire quelque chose’’… Au début elle s’était offerte des moments sympas avec deux ou trois anciens amants intermittents qui avaient jalonné sa vie professionnelle depuis les années 80. D’abord des déjeuners où chacun rivalisait pour accomplir l’acte majeur qui symbolise pour lui la réussite, pour elle l’indépendance, à savoir payer l’addition. Puis des cinq-à-sept conduisant à quelques exultations. Au milieu des draps froissés, un verre de grand bordeaux à la main, c’était formidable de parler de soi sans concessions entre complices âgés de plus d’un demi-siècle. Une fois les souvenirs du bon vieux temps magnifiés, cela revenait surtout à comparer les ratés de leurs existences respectives. Mais bon, c’était un peu compliqué quand même – surtout pour ces messieurs – et ces retrouvailles ne mèneraient pas bien loin. En tout cas, cela lui avait permis de faire le point sur elle-même, sans parler de la remise à jour de ses compétences sexuelles pas inutile du tout. De ce côté là, elle était pleinement rassurée.
Et puis il y avait eu ce Jacques rencontré chez des amis. Directeur d’une PME prospère d’Oyonnax, il s’était emballé pour Martine. Week-ends romantiques, restos, opéra, expos, bref la carte Gold du genre prodigue. C’était donc vrai la ‘’nouvelle vie’’, se disait Martine ! ‘’On est de 54 tous les deux. Au diapason sur absolument tout. Il commençait à dire qu’il allait quitter sa femme… Il voulait même me présenter à sa mère de 85 ans, vous imaginez ? Je ne comprends pas !’’ dit Martine en donnant le coup de grâce à la bouteille de chardonnay.
‘’Ma chérie, ne cherche pas, conclut ma femme Agnès, encore une fois, voilà un exemple lamentable de lâcheté masculine !’’ Le Jacques en question, Agnès aurait bien voulu le saisir par le col et lui demander à quoi il jouait avec sa copine. Je m’insurge : ‘’Eh la, doucement, les filles ! Lâcheté, lâcheté, c’est un peu facile. Un type de 60 ans, c’est compliqué… ça porte des fardeaux, ça se pose des questions, ça doute… (Agnès commence à me regarder avec un drôle d’air)… mais oui, Agnès, je m’interroge sur l’existence. Bref, à moins que Martine ait fait une grosse bourde ou que ce Jacques soit un infâme Don Juan rassasié, il n’y a rien à comprendre… Je suis sûr qu’il était sincère. Il a du avoir un gros problème avec sa boîte, voilà’’. Evidemment, j’ai du mal à convaincre. C’est vrai que le comportement du gars d’Oyonnax n’est pas vraiment glorieux…
Il faut bien admettre que, sans atteindre un tel niveau de muflerie, ce genre de mésaventure est assez fréquent.
Concédons que les bonshommes ne sont pas toujours clairs et ont souvent du mal à s’engager, sauf si la fourche du démon de midi leur pique les fesses.
Comme ce sacré Paul, le mari de Martine. Auquel cas, ils sont capables de n’importe quoi. Mais avec les copines de leur âge, c’est une autre histoire ! Et puis, la concurrence est rude, il y a plus de femmes que d’hommes… Notre chère Martine se trouve donc à la croisée de chemins pleins d’embûches :
‘’J’ai réfléchi à ma situation. Soit je reste comme ça, en acceptant la fatalité de l’âge. Soit, je continue à butiner mon plaisir avec des ex empêtrés dans leurs problèmes. Ou alors, j’attends que le hasard – et ma vigilance – m’offrent un vrai compagnon. Eh bien, ça, j’y crois ! Un compagnon, non pas pour ‘’refaire’’ ma vie, mais pour la continuer… On refait sa vie à 30 ou 40 ans, pas à 60 !’’
Les boomeuses comme Martine sont tombées très tôt dans la marmite de l’optimisme. C’est sans doute l’empreinte des Trente Glorieuses ! Nées dans les temps d’avant, mariées selon le schéma traditionnel, puis ayant admirablement articulé vie professionnelle et vie familiale dans la modernité, avant de connaître le choc d’un divorce tardif, elles ne sont pas du genre à baisser les bras.
Quelques jours plus tard, nous avons donc téléphoné à Martine pour l’inviter à dîner, sans lui dire qu’un vieux copain médecin et patron d’une clinique en province était de passage à Paris. Assez beau gosse et divorcé depuis peu. Agnès et moi croisions les doigts…
Alain Rodier
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